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Société / Sport - Mai 2011

Laurent Blanc, raciste ordinaire

Binationalité

L'affaire des quotas de joueurs binationaux a fait couler beaucoup d'encre depuis l'article initial, « Foot français: les dirigeants veulent moins de Noirs et d'Arabes », publié par Mediapart.fr le jeudi 28 avril 2011, par Fabrice Arfi, Michaël Hajdenberg et Mathilde Mathieu. L'article concerne la réunion de la Direction Technique Nationale (DTN) de la Fédération Française de Football (FFF), qui s'est tenue à Paris, le 8 novembre 2010. Ces journalistes ont présenté l'affaire comme une volonté de ségrégation raciale visant à réduire à 30 % le nombre de Noirs et d'Arabes, à partir de la question des « binationaux » susceptibles de jouer dans d'autres équipes nationales. Un autre argument concernait la politique de recrutement de joueurs plus vifs et moins athlétiques assimilés, par les participants à la réunion, à l'opposition Blancs/Noirs.

Cette affaire « des quotas de binationaux » de la Fédération française de football a permis de lever une ambiguïté importante. Quand on parle de racisme, on semble y mêler la référence au nazisme et à l'extermination des juifs. On peut voir dans ce génocide une conséquence historique de la théorie raciste extrémiste de hiérarchisation des races. Encore que l'antisémitisme soit bien antérieur et distinct, et relève plutôt de l'intolérance religieuse selon le principe « cujus regio, ejus religio » imposant (malgré quelques exceptions) la religion du prince [1]. Cet ostracisme religieux rejoindrait le racisme par le principe maurrassien de l'homogénéité ethnico-religieuse.

Quand Laurent Blanc dit qu'il n'est pas raciste, on peut admettre qu'il n'est pas question de racisme théorique ou de sa version nazie. Mais comme l'a dit la ministre des Sports, Chantal Jouanno, « il y a des sous-entendus à la limite de la dérive raciste ». Début mai 2011, à la suite de la réunion pour envisager des sanctions, elle a déclaré qu'il n'y avait pas d'atteinte à la loi sur les discriminations et qu'il n'y avait pas lieu de saisir la justice. On peut lui répondre que ce n'est pas à un ministre de dire la loi, et si la justice n'est pas saisie par les instances sportives, cela revient à enterrer l'affaire. Certaines associations antiracistes ont cependant porté plainte. C'est leur fonction. On remarquera que le politiquement correct dont les néoracistes accusent ces associations est plutôt le fait de la ministre quand elle déclare contradictoirement :

« Les moyens pour limiter les binationaux ont effectivement été débattus. Le sujet a été abordé de manière maladroite et déplacée. Il y a des sous-entendus à la limite de la dérive raciste, mais il n'y a pas eu de projet d'instauration de quotas ».

Car elle joue sur les mots en disant qu'il n'y a pas eu de « projet d'instauration de quotas ». La discussion qui a donné lieu à ces dérives portait bien sur ces quotas. Il en a été question, dans une réunion de la DTN, pour résoudre la question des jeunes (à partir d'une douzaine d'années) qu'on a appelés les binationaux parce qu'ils peuvent choisir d'aller dans les équipes nationales d'autres pays dont leurs parents sont originaires (quoique français eux-mêmes - ce pourquoi ils sont dans les centres d'entraînement de l'équipe de France). C'est un thème récurrent dans le football à la suite de l'arrêt Bosman qui permet aux joueurs d'être libres de quitter le club où ils ont été formés. Il en résulte une surenchère financière dans les transferts ou des équipes locales qui peuvent être composées exclusivement de joueurs d'autres nationalités. La question persistait donc pour les équipes nationales, où les joueurs doivent choisir un pays une fois pour toutes, excepté pour les matches amicaux.

Un participant à la réunion avait enregistré ces conversations parce qu'elles l'avaient choqué. Ce qui signifie bien que ce projet était revenu plusieurs fois sur le tapis. Les racistes raisonneurs défenseurs des libertés (d'être raciste et de discriminer selon la jurisprudence Zemmour, révoquée par la justice française) ont donc critiqué la publication de ces enregistrements, et plus généralement la méthode au nom du refus de la transparence. J'avais moi-même critiqué l'usage direct de tels enregistrements dans l'affaire Bettencourt. Mais, outre qu'il ne s'agit pas ici d'une affaire privée, cette publication par Médiapart répondait à l'accusation de mensonge par Laurent Blanc :

« Je n'ai jamais entendu parler de projet de quotas ! (...) C'est un sujet sensible. Pour moi, il n'y a pas de projet de quotas, c'est faux. Et c'est un mensonge de dire que le sélectionneur y a participé. Je ne peux donc pas parler d'une chose qui n'existe pas ». (Laurent Blanc, Le Monde du 29 avril 2011).

On a appris par la suite que Mohamed Belkacemi qui avait fait les enregistrements les avait donnés à la fédération, qui était donc au courant alors qu'elle le niait. Et ces enregistrements ont révélé qu'il avait été dit par François Blaquart, directeur technique de la FFF : « On peut s'organiser, en non-dit, sur une espèce de quota. Mais il ne faut pas que ce soit dit. » On imagine que c'est contre ce genre de stratégies, et les dénégations constatées, que Belkacemi a préféré faire des enregistrements. On imagine d'ailleurs ce que les racistes raisonneurs auraient dit si quelqu'un avec un nom arabe s'était contenté de le rapporter oralement. J'ai déjà mentionné le cas d'un juge français qui avait refusé le témoignage d'un Arabe parce qu'il n'était pas objectif puisque l'affaire concernait aussi un Arabe !

Minimisation du racisme

Laurent Blanc qui ne se sent pas raciste, ce que de nombreux soutiens confirment, n'a pas perçu le problème que soulevaient les propos tenus dans cette réunion ni celles qui précédaient. Pourtant, même la ministre remarque que « Il y a des sous-entendus à la limite de la dérive raciste » et Francis Smerecki présent à la réunion, remarque : « Je dis: première chose, c'est discriminatoire » avant de faire des considérations pragmatiques: « Et si on enlève la totalité des gens qui peuvent choisir, pour une autre sélection éventuellement, je ne sais pas si on a une division ».

Remarquons au passage, à propos du débat actuel sur le populisme, que l'encrage populaire du foot permet justement de l'utiliser comme critère. Les classes les plus populaires actuelles concernent principalement les immigrés récents et visibles. Chaque fois qu'on parle de ces questions, on mentionne les précédentes générations d'immigrés qui ont donné des footballeurs célèbres, Kopa, Platini, Amoros, etc. Aujourd'hui c'est le tour des Noirs et des Arabes. Mais c'est ça la nouveauté. On prétend qu'ils ne s'intègrent pas. C'est faux. Ils ne sont pas intégrés par les Français de souche ou les immigrés précédents (en vertu du principe selon lequel le dernier arrivé referme la porte derrière lui). Cette stratégie xénophobe est récente, et rétroactive, comme Platini le confirme, dans Le Monde du 11 mai 2011, à l'occasion de cette affaire :

« Michel Platini rappelle dans un entretien son étonnement d'être considéré comme un immigré : 'Un jour, j'étais reçu par un adjoint au maire à Belfort en tant qu'entraîneur de l'équipe de France. Dans son discours, l'élu a parlé de moi comme un bon exemple d'intégration. J'ai été surpris parce que je ne me suis jamais considéré comme étranger. Je n'avais jamais parlé italien, mon père non plus. Je suis de la troisième génération.' » Rapporté par William Gasparini, Sociologue.

Un autre sociologue, Stéphane Béaud, et un historien, Gérard Noiriel, qui avaient pourtant noté la cabale de la presse contre les joueurs, à propos de l'affaire de la grève du Mondial 2010, ont minimisé les connotations racistes des propos des dirigeants de la FFF, dans Libération du 6 mai 2011. Car, dans la langue de bois académique, « le rôle des sociologues n'est pas d'instruire des procès en hurlant avec la meute ». Ce qui est assez incompréhensible après les précautions oratoires (biais académique) pourtant explicites (mais insidieuses) :

« Il va sans dire (mais par les temps qui courent, il n'est pas inutile d'enfoncer le clou) que nos propos n'ont nullement pour but de justifier la DTN. D'une part, ce projet de quotas dans les centres de formation est, sur le plan du droit, clairement discriminatoire. D'autre part, le langage employé par les protagonistes de cette réunion interne de travail reflète, par moments, une réelle défiance à l'égard des joueurs issus de l'immigration post-coloniale. [2] »

On constate que leur propos consiste à revendiquer le monopole de l'analyse : « Il revient [aux sociologues] de clarifier les problèmes en prenant appui sur les recherches empiriques qu'ils ont eux-mêmes développées sur les sujets dont ils parlent ». On suppose que cette analyse devra garder un ton mesuré et un verbiage incompréhensible pour le grand public, sous peine d'être considéré comme une « polémique malsaine et d'un niveau intellectuel affligeant ». J'avais déjà mentionné que Bourdieu lui-même avait souhaité « que la sociologie devienne comme [...] les mathématiques [...] un champ dans lequel les producteurs n'ont pour clients que leurs concurrents. [...] Malheureusement, tout le monde s'en mêle. » (Sur la télévision, 1996, p. 71).

Cette attitude est extrêmement douteuse et usurpe le titre de sociologie que je considère au contraire comme le langage de la démocratie, car elle permet la prise en mains du débat par les citoyens. Ces deux auteurs se perdront, dans la suite de l'article, dans des questions de langage, tandis que l'autre sociologue, Gasparini, imputera la racialisation aux antiracistes et aux médias. Tous sembleront excuser le raisonnement de la Fédération, condamnant le mot de « quotas » tout en justifiant sa motivation protectionniste. Sans doute protègent-ils leurs arrières pour ne pas se griller et pouvoir poursuivre leurs recherches dans le sport.

Une de leurs erreurs consiste à commenter le fait que Laurent Blanc s'excuse d'avoir employé le terme « black ». En sous-entendant que terme serait raciste, cet entraîneur national manifeste la maladresse de celui qui s'excuse de dire « tu vois » à un aveugle. Mais personne ne croit que le terme « black » est raciste. Les justifications de Laurent Blanc s'expliquent par l'embarras devant ces questions, mais n'excusent pas les solutions proposées.

Bizarrement, les deux sociologues s'enfoncent en allant jusqu'à criminaliser la portée du terme « black » en l'associant à la stigmatisation des banlieues : « le groupe «déviant» des jeunes qu'il faut particulièrement surveiller et encadrer, non pas du fait de leur couleur de peau, mais de leurs caractéristiques sociales et de leur comportement modal dans la vie d'une équipe ». En confondant langage des banlieues (« djeuns »), et connotations racistes (qu'ils appellent « sociales »), ils sont aussi mauvais sémanticiens que sociologues et ne savent pas lire, quand ils disent :

« Ce qui explique (mais n'excuse pas) les connotations péjoratives prises par le mot «Black». On peut penser que c'est cette acception du terme que Laurent Blanc a en tête lorsqu'il s'exprime dans cette réunion de la DTN en novembre 2010 dont le verbatim a été produit par Médiapart. »

Le verbatim complet publié dans Médiapart le 29 avril 2011, dans l'article « Quotas dans le foot: la vérité au mot près » montre que le terme « black », employé par Laurent Blanc, n'a pas le sens que les sociologues lui prête (et concerne seulement la binationalité ou le gabarit) :

« S'il n'y a que des - et je parle crûment - que des blacks dans les pôles (de jeunes, NDLR) et que ces blacks-là se sentent français et veulent jouer en équipe de France, cela me va très bien. (...)
« Parce que tous les blacks, si tu enlèves les Antillais, ils ont des origines africaines. Donc, africaines, ils vont pouvoir aller dans une équipe africaine. (...)
« Qu'est-ce qu'il y a actuellement comme grands, costauds, puissants ? Les blacks. Et c'est comme ça. C'est un fait actuel. Dieu sait que dans les centres de formation, dans les écoles de football, ben y en a beaucoup. (...)
« Les Espagnols, ils m'ont dit : « Nous, on n'a pas de problème. Nous, des blacks, on n'en a pas. »

En aucun cas Laurent Blanc n'emploie le terme dans le sens de « délinquant » ou de « déviant ». Les fantasmes pseudo-sociologiques de Béaud et Noiriel relèvent de la légitimation actuelle du populisme présentée comme une excuse au néo-racisme. Ils reproduisent l'excuse traditionnelle de la gauche qui prétend refuser le communautarisme et la racialisation au nom de considérations « sociales ». Outre le tic de langage périmé, cela concerne, au mieux, la traditionnelle remise aux calendes grecques de la prise en compte des « contradictions secondaires » (écologie, sexes, minorités, etc.) au nom des « contradictions principales » (économiques), et cela concerne, au pire, le surcodage de néo-racistes qui disent les « gris » (par exemple) pour parler des minorités visibles en question.

En étant gentil, on peut dire que ces sociologues ont simplement recyclé les idées développées dans le livre qu'ils venaient juste de publier et qui était encore frais dans leur esprit. C'est un biais fréquent des intellos de tout ramener à leurs dernières lubies quand on les interroge au pied levé, au lieu de prendre le temps d'analyser sérieusement un problème (comme ils le prétendent pourtant). Ce qui rend quand même d'autant plus risibles leurs leçons sur la « polémique malsaine [...] d'un niveau intellectuel affligeant ».

Dans le même ordre d'idées que la minimisation par ces sociologues incompétents, ces articles ont donné lieu à une polémique, sur Médiapart même, de la part de commentateurs participatifs qui ont pris la défense de Laurent Blanc ou de la DTN. Certains ont même attaqué les sportifs noirs qui se sont exprimés sur Médiapart (Roger Bambuck, Yannick Noah, Lilian Thuram). Alors que leurs propos étaient très raisonnables (et pour tout dire, les sportifs remontent dans mon estime), on a assisté aux méthodes habituelles de débinage sur la forme ou le fond, dont le fait qu'ils gagnent des fortunes (comme des dictateurs africains dont un commentateur à sorti les photos du palais). Il est bien entendu que les Noirs doivent être pauvres pour la gauche [3]. Et surtout, ils doivent se taire et attendre que la gauche parle pour eux en terme de « social ». On constate au contraire qu'ils n'en ont pas besoin et que le niveau baisse... chez les Blancs de gauche. Les mauvais esprits parleraient d'un mécanisme de défense face aux élites montantes.

Comme je trouvais la discussion assez répugnante, j'ai cru bon de souligner qu'on ne semblait pas s'être aperçu, selon ce principe de la binationalité potentielle, qu'on aurait pu exclure les juifs des centres de formation de l'équipe de France, dans la mesure où ils peuvent devenir citoyens israéliens très facilement. Cette éventualité n'aurait évidemment pas été tolérée et tout ce petit monde de la DTN aurait giclé vite fait. Ça n'a pas plu à tout le monde. Une des défenseuses de Laurent Blanc a fait le coup du sous-entendu antisémite de ma part, en prétendant qu'il s'agissait du fait que quand on parle d'« Arabes », certains pensent tout de suite « juifs ». On suppose qu'il s'agirait d'antisionisme, donc d'antisémitisme, puisqu'il paraît que c'est la même chose. Bref, je me fous complètement de ces tentatives rhétoriques d'intimidation aussi convenues que non pertinentes : il s'agissait plutôt de Noirs en l'occurrence [4]. Mais cela rejoint incidemment le principe que j'ai énoncé ailleurs) selon lequel « Noirs et Arabes, quand on parle des juifs, c'est de vous qu'on parle » et « Juifs, quand on parle des Noirs et des Arabes, c'est de vous qu'on parle ». Mais c'est de racisme en général qu'il s'agit, contre le principe maurrassien qui considère que les allogènes sont l'anti-France, et qui concernait surtout les juifs à l'époque. Il n'y a pas que Zemmour qui ne comprend pas l'expression « mutatis mutandis », comme il l'avait honnêtement avoué.

Malek Boutih est intervenu pour donner lui aussi des leçons de sémantique, en y ajoutant des informations passionnantes sur les magouilles associatives au sein des instances footballistiques. Il ne semble pas considérer comme important que les Noirs en subissent les conséquences et préférerait qu'on s'occupe d'autres discriminations, à l'embauche et au logement. Outre le fait qu'il s'agit bien de discriminations à l'embauche, il refait le coup du « secondaire » et de la mention d'autres discriminations quand on en traite une particulière. C'était la stratégie permanente de la défunte Halde, anciennement dirigée par Schweitzer, ancien PDG de Renault, entreprise condamnée pour discriminations. Ce qui est toujours très cocasse à rappeler. Comme le foot, selon Boutih et les sociologues, cette entreprise automobile fournissait aussi beaucoup d'emplois à des minorités. Elle n'allait donner, en plus, des promotions aux négros et aux bougnouls.

Et sur la magouille associative, Boutih en connaît forcément un rayon puisqu'il était président de SOS-racisme. Quand il déclare : « Dans le fond, j'ai la certitude que le problème du "racisme" dans cette affaire est instrumentalisé pour d'autres enjeux » (Le Monde, 5 mai 2011), on peut considérer cela comme un aveu. Il poursuit ainsi son analyse : « Paradoxalement, loin d'aider la lutte antiracisme, cette histoire aiguise une sorte de ras-le-bol et fait le jeu de forces assez extrémistes ». C'est intéressant : outre l'inconvénient de remettre en question toute son ancienne légitimité, Boutih cautionne donc la stratégie des néo-racistes qui en ont marre de la repentance. Par le passé, on disait aussi que « les juifs se plaignent tout le temps ». Des personnes bien intentionnées peuvent se dire à raison qu'il ne faut pas se complaire dans le ressassement. Mais en fait, le choix est entre « Hitler, connais pas » et « Plus jamais ça ». Cela suppose une capacité d'analyse pour les distinguer, que même certains sociologues de gauche ne possèdent pas !

Racisme historique militant

Précisément, le véritable problème concerne le déchaînement des authentiques racistes, qui se saisissent de toutes les affaires où des Noirs ou des Arabes sont impliqués, pour exposer leurs thèses sur Internet. C'est sur cela que les sociologues feraient mieux de « clarifier les problèmes en prenant appui sur les recherches empiriques » (comme disaient Béaud et Noiriel). Mais ils retardent dans l'analyse d'Internet qui sert de lieu d'expression, comme les tribunes de hooligans au football. Un problème annexe est que ces commentaires ne sont généralement pas censurés, alors que ceux sur les juifs le sont, même quand ils ne sont pas antisémites, sur le principe « Houlala ! ». J'ai envisagé dans un article sur le sujet de l'« Audience truquée à Rue89 » que des sites qui vivent de la publicité augmentent ainsi leurs statistiques en profitant des polémiques et des stratégies de propagande systématique des racistes.

Les racistes militants déversent leurs arguties issues de leurs argumentaires ou éléments de langages, dont ils ont évidemment la spécialité, puisque c'est leur obsession. Les gogos peuvent trouver ça rationnel et cela explique largement le vote FN. Le manque de préparation des antiracistes naïfs fait le reste, parce que leurs arguments datent un peu, sont moins systématiques, sont même éventuellement faux, et sont interprétés aujourd'hui comme des propos de « Bisounours ». Sur ce dernier point, j'ai eu l'occasion de répondre, sur Internet, que les antifascistes, les résistants et ceux qui cachaient les juifs pendant la guerre, même s'ils le faisaient pour des raisons humanistes gnangnans, n'étaient pas des « Bisounours », à supposer que cela signifie autre chose, précisément qu'« antiraciste ». Je considère que c'est la réponse convenable et définitive à cette question.

Dans cette affaire, les racistes et républicanistes en ont profité pour réaffirmer leur opposition aux quotas ethniques en considérant cette affaire comme un argument supplémentaire. Leur méthode se résume à « pile, je gagne et face, tu pers » ! Comme il s'agissait de limiter les binationaux en visant spécialement les Noirs et les Arabes, le moyen consistait donc dans l'instauration de quotas de Blancs ! L'effort intellectuel (réversibilité) consiste à s'apercevoir que 30 % d'allogènes correspondent à imposer 70 % de « de souche ». Laurent Blanc soulignera qu'il n'a pas de problème avec les Noirs antillais, mais ce n'est pas ce qui ressort généralement des commentaires des idéologues racistes dont il est question pour le moment. Et plus généralement la « réponse définitive » exige de se rendre compte que le racisme consiste en quotas de 100 % de Blancs dans certains secteurs. Dans un état démocratique, 70 % est une bonne approximation de cette tendance.

À ce propos, au lieu d'imaginer, comme Boutih, un complot anti-associatif dans la FFF, on pourrait plutôt envisager que les salaires mirifiques des joueurs de foot ont réveillé certaines convoitises. Certains membres blancs de la FFF ont peut-être envisagé de promouvoir leur progéniture, sans aucun doute « plus vive et intelligente » comme dans tout critère népotiste. On sait que de nombreux entraîneurs s'occupent aussi de leurs rejetons. Un peu d'histoire nous rappelle que le contexte de l'affaire Dreyfus concernait une concurrence entre banquiers, comme le mentionne un de mes compatriotes nîmois déjà évoqué :

« Venons maintenant à la cause occasionnelle de l'antisémitisme, celle qui a déterminé le choc. C'est le krach de l'Union générale. La défaite de l' Union générale a été la défaite du capital et de la spéculation catholique. On a rendu la finance juive responsable de ce résultat et la campagne antijuive a été inaugurée en guise de représailles. Le capital catholique s'est rué à l'assaut du capital israélite et l'histoire de cette période sera, pour l'historien futur, intéressante comme un épisode de la lutte entre capitalistes, et même de la lutte entre deux formes du capital. » (Bernard Lazare, Contre l'antisémitisme : Histoire d'une polémique, ed. Stock, Paris, 1896).

Cette question de la double allégeance était un classique de l'antisémitisme, on la retrouve aujourd'hui comme argument des racistes dans les films américains, d'où la validité de la question juive comme ligne de démarcation. Il faut noter au passage que n'importe qui est susceptible de changer de nationalité. Il suffit, par exemple, d'épouser une étrangère. Il faudrait donc exiger des joueurs mariés et leur interdire le divorce. Tout le monde sait aussi que les sportifs bénéficient d'une naturalisation accélérée quand cela arrange les instances sportives, en France comme ailleurs. Proposer un engagement sur l'honneur aux jeunes joueurs « susceptibles de changement », alors qu'ils le sont tous, relève évidemment d'une stratégie du soupçon envers certains. Malek Boutih reprend l'argument de double allégeance des néo-racistes raisonneurs quand il déclare :

« Il faut jouer le jeu d'une nation métissée et moderne. On ne peut pas dire 'je suis français parfois' ou 'je ne suis pas français quand ça m'arrange' ». Il rajoute : « À partir de 16 ou 17 ans, il faudrait demander aux jeunes ne serait-ce que de s'engager symboliquement sur l'honneur à tout faire pour rester dans la sélection nationale française et d'être patient, de ne pas partir, à 20 ans, dans tel ou tel pays parce qu'il y a une opportunité. »

Comme, cette réalité concerne tout le monde et non seulement sa « nation métissée » la proposition de Malek Boutih est discriminatoire et rétablit les anciennes contraintes concernant les juifs (combattues au XIXe siècle par mon autre compatriote, Adolphe Crémieux). Peut-être Boutih veut-il se recycler dans les instances de la FFF pour déployer sa double compétence concernant le football et son antiracisme napoléonien.

Racisme ordinaire et compétence

On peut interprêter sur le mode « c'est un fait » à la Zemmour, la réplique de Laurent Blanc : « Qu'est-ce qu'il y a actuellement comme grands, costauds, puissants ? Les blacks. Et c'est comme ça. C'est un fait actuel. Dieu sait que dans les centres de formation, dans les écoles de football, ben y en a beaucoup ». Contrairement à l'accusation sur ce point (des sociologues, entre autres), on peut comprendre l'usage des stéréotypes, fréquent dans le sport (ou plus généralement). On ne va pas chipoter. Il faut plutôt tenir compte ici du fait que cette politique de la FFF est une réponse à la période antérieure où dominaient les joueurs allemands, « grands, costauds, puissants » (et blancs). Cela ne veut pas dire que seuls les Noirs, ou tous les Noirs, ont cette morphologie. Et ce ne sont pas les enfants qui doivent être pénalisés par une mauvaise évaluation qui passe successivement d'un stéréotype à l'autre. S'il y a un domaine où le mérite doit régner, ce devrait être le sport, spécialement si on veut que l'équipe gagne. Ce qui est bien la responsabilité des sélectionneurs.

On peut aussi considérer que Laurent Blanc a été maladroit et s'est laissé piéger par des personnes dont les intentions seraient moins innocentes que les siennes ou qui sont encore plus maladroites que lui. Comme l'ont remarqué certains, le football est représentatif de la société française. Il ne faut pas s'étonner que l'idéologie du Front national, et certains de ses militants, s'y retrouvent forcément. Lilian Thuram, dira : « Je me demande s'il ne va pas arriver un jour où je ne vais plus être vu comme un Français ». Il est bien optimiste. C'est plutôt ici que son statut de vedette surpayée doit jouer pour le couper de certaines réalités, qui apparaissent à l'occasion, comme dans l'exemple susmentionné de Michel Platini.

Car le problème peut s'énoncer simplement. Laurent Blanc n'est pas raciste et, pourtant, il produit ou tolère des discussions qui le sont. Je veux bien admettre l'argumentation selon laquelle cet épisode n'est pas très grave - à condition quand même que les décisions envisagées ne soient pas appliquées, y compris selon le principe : « On peut s'organiser, en non-dit, sur une espèce de quota. Mais il ne faut pas que ce soit dit [5]  ». Médiapart prétend que c'est déjà le cas dans certains clubs. Et justement, c'est le fait d'avoir mis l'affaire sur le tapis qui permet de ne pas laisser faire.

On peut reprocher à Médiapart de rechercher le buzz. Encore que reprocher de rechercher le scoop à des journalistes me paraît relever de la stratégie néo-raciste contournée, si c'est pour justifier l'omerta, pour ne pas parler des sujets qui fâchent, et pour ne pas remuer la merde. Le métier de journaliste est celui de fouille-merde. Et il s'agit bien d'idées de merde ! Une partie des critiques vise les maladresses des antiracistes, un peu trop sentencieux ou grandiloquents sur le style, ou insuffisants sur les arguments. Mais cela ne justifie pas le projet de discrimination de la FFF.

Ce que manifeste Laurent Blanc est ce que les antiracistes sentencieux appellent le « racisme ordinaire ». J'ai toujours trouvé que le qualificatif de « racisme ordinaire » était trop sévère. Il me paraissait correspondre simplement à la connerie. Mais d'un autre coté, c'est ça le racisme. Comme je l'ai développé à un autre propos, toute la question est une affaire de compétence, et d'incompétence, à parler de ces questions. En France, cette question « des origines », à la Platini, est celle qui permet de parler des questions de la « diversité » (la nation métissée chère à Boutih), mais en terme barresso-maurrassiens. J'ai insisté à plusieurs reprises sur le fait que la tendance historienne et philosophique générait cette idéologie essentialiste qui produit le racisme. Je considérais que l'approche sociologique améliorait la compétence. Je suis obligé de constater que ce n'est pourtant pas le cas chez certains sociologues (peut-être contaminés par les historiens).

Dans les années 1980, j'avais coutume de dire que « le racisme n'existe pas, ce qui existe, c'est la connerie ». Je faisais référence à l'idéologie raciste inégalitariste extrémiste qui me paraissait seulement résiduelle. Même la « nouvelle droite », à la mode à l'époque, développait une sorte de culturalisme qu'on pourrait qualifier de lévi-straussien (voir la fin de mon analyse de Race et histoire), selon lequel il faut préserver toutes les identités culturelles (sous réserve du « chacun chez soi »). C'est également ce que développent les commentaires les plus intelligents sur Internet, malgré quelques relents xénophobes contre les immigrés (du fait du « chacun chez soi »). C'est ce phénomène qu'analysent mal les antiracistes, parce qu'ils restent au niveau des principes. C'est pour cela que j'ai parlé de maurrassisme par incompétence de leur part aussi, car ils reproduisent ce discours, en idéalisant la différence ou les immigrés, tout en valorisant eux aussi les critères identitaires. Lévi-Strauss lui-même reconnaissait que l'ethnologue était révolutionnaire chez lui et conservateur chez les autres. C'est aussi ce qu'on peut appeler le « biais ontologique », qui fait que Régis Debray souligne de façon logiciste la « détermination de l'identité par les frontières » et réciproquement.

Je considère que cette affaire constitue effectivement une forme de démonstration de ma thèse en illustrant le continuum des compétences. Il n'y a pas des racistes ou des non-racistes (essentialisme) ou des plus ou moins racistes, sur le mode du cynisme ou du réalisme par opposition à l'idéalisme. Un « il en est ainsi de la nature humaine » relève simplement du pessimisme (ou du subterfuge raciste), puisque « plus ou moins raciste » signifie également « plus ou moins antiraciste ». L'épisode des Bisounours ci-dessus montre ce qu'il en est quand la question se pose concrètement. La question n'est pas de savoir si certains vont pencher d'un côté ou de l'autre. Le problème est qu'on ne le sait pas tant qu'on en reste au niveau des principes. Ce qu'on mesure est la sensibilité à certains arguments et leur maîtrise, d'où la question de la compétence.

Ce que montre cette affaire est que les journalistes de Médiapart ont raisonné en terme de principes. Pour eux, l'égalité de droits des Noirs et des Arabes est un préalable. Ce qui peut apparaître comme idéaliste, procédurier ou obsessionnel à ceux qui considèrent que les discriminations envers ces minorités sont la norme (factuelle). Ceux-là trouvent toujours de bonnes raisons pour qu'elles subsistent, par fatalisme ou par intérêt, ou en remettant toujours les questions de l'égalité aux calendes grecques, à leur titre de « contradictions secondaires ». Justement, ce sont bien les acteurs au sein de la FFF qui ont trouvé que ces projets allaient trop loin, et c'est sans doute parce qu'on en a parlé au grand jour qu'on sera plus attentif à une dérive sur ce thème. C'est la reconnaissance de cette factualité de la résistance qui doit être aussi enregistrée.

Jacques Bolo

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Voir aussi :

Notes

1. C'est ce principe qui avait aussi abouti aux massacres des cathares, des protestants, etc., et aux pogroms antisémites fréquents au cours de l'histoire. Dans Contre l'antisémitisme (1896), Bernard Lazare, célèbre dreyfusard, propose ironiquement de régler la question juive par une Saint-Barthélemy.  [Retour]

2. William Gasparini, dira dans un autre article, une formule introductive du même genre : « Soyons clair : le projet des quotas est discriminatoire et injustifié. De même qu'est condamnable le langage utilisé par les responsables du football français lors de la fameuse réunion de travail, et notamment les stéréotypes associant la morphologie d'un joueur et ses performances à son ethnie ». (« De la fracture sociale au clivage ethnique », Le Monde du 11 mai 2011). [Retour]

3. Soyons justes, un patron aurait été traité de la même (mauvaise) manière. Mais ses enfants de douze ans n'auraient pas été discriminés (ce qui prouve leur intégration). Car la gauche fait de la politique, c'est-à-dire de la rhétorique partisane, et non de la sociologie (ce qu'elle devrait être).  [Retour]

4. Et donc : « Noir » implique « arabe », implique « juif », ça commence à faire beaucoup comme raisonnement par association.  [Retour]

5. On n'a pas trop entendu Finkielkraut sur l'omerta à propos des quotas de Noirs. Il ne s'était pas gêné pour considérer comme des chefs de gang ceux qui menaçaient les dénonciateurs à la presse d'Anelka, qui aurait dit « Va te faire enculer, fils de pute ! », au sélectionneur Domenech, au cours de la coupe du monde de football 2010. Je suppose qu'il fait partie aujourd'hui des défenseurs des libertés qui dénoncent la transparence, au nom de la liberté de discriminer, puisque « discriminer, c'est choisir » et que les sélectionneurs se doivent de faire des choix. [Retour]

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