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Politique / Religion / Conneries - Décembre 2010

Max Gallo et le « choc des civilisations »

Le masque est tombé, une fois de plus, à l'émission de Philippe Meyer, « L'Esprit public », sur France culture, ce dimanche 19 décembre 2010. Ces commentateurs de l'actualité pour la semaine écoulée laissent souvent un peu sur sa faim : est-ce du lard ou du café du commerce (de haut niveau, disons du café de la Bourse, pour initiés) ? Quand on pense à la peine qu'ils doivent se donner toute la semaine, pour préparer leurs péroraisons dominicales, on est content de les écouter couché, entre onze heures et midi.

Le sujet principal était le cas Marine Le Pen, dont je parlais ici même le mois dernier. Plus spécifiquement, il était question de ses propos sur les prières de musulmans qui envahissent certaines rues, dans le dix-huitième arrondissement à Paris, ou à Marseille. Elle disait : « pour ceux qui aiment beaucoup parler de la Seconde Guerre mondiale, s'il s'agit de parler d'Occupation, on pourrait en parler pour le coup, parce que ça, c'est une occupation du territoire ». Comme l'a fait remarquer un des piliers de cette émission, Jean-Louis Bourlanges, cette référence à l'Occupation (que Marine Le Pen a ensuite minimisée, en lui donnant un petit « o » au lieu de la majuscule habituelle) a la particularité de rompre avec l'image positive de l'occupation nazie pour les anciens pétainistes (et plus si affinités) qui peuplent le Front national. Mais on peut constater que c'est bien une rupture dans la continuité en ce qui concerne les allusions sournoises, qui incitent évidemment à généraliser de l'occupation anecdotique d'une rue à l'invasion de la France et de l'Europe par des hordes allogènes. Bourlanges remarquera aussi que « la droite n'aime pas les Arabes, et la gauche n'aime pas le musulman ». Ce qui permet de comprendre en quoi le FN chasse à gauche, avec son adoption du thème de la laïcité.

Max Gallo n'a pas laissé passer l'occasion d'en rajouter une couche, en parlant d'« occupation de l'espace public par une religion et les musulmans ». Il semble accorder à Marine Le Pen sa bénédiction sur la stratégie de jouer sur la laïcité, en souvenir du temps où il était de gauche. Nous avons vu, dans le précédent épisode de sa minimisation du rétablissement de l'esclavage par Napoléon, que Max Gallo savait aussi se rétablir en anticipant les critiques (voir : « Les bienfaits de la colonisation », note 5). Vieux truc de politicien. Cette fois-ci, il avait eu toute la semaine pour se préparer. Il a donc pris la précaution d'en appeler à des alliés (de gauche ou musulman) qui partagent cette réprobation de la prière ostensible (Guigou, Hamon, Boubaker). Pas la peine de se demander pourquoi il n'a pas mentionné Manuel Valls. C'est ça, la politique.

On peut reconnaître à Max Gallo l'avantage d'offrir la représentation du courant souverainiste dans une émission qui a un peu trop tendance à concevoir le débat comme un tour de table de gens qui sont la plupart du temps du même avis. Sa culture historique apporte souvent des informations. Mais on peut considérer aussi que son idéologie dissimule celle du FN sous cette forme édulcorée du souverainisme et de ses images d'Épinal passéistes d'historien classique. Marine Le pen correspond au FN présentable et Gallo au « présentable de chez présentable » ! La politesse mondaine évite l'opposition de la part des autres invités et légitime cette dérive avec leur complicité plus ou moins consciente. Un invité authentiquement FN rencontrerait une opposition plus franche, et Gallo serait obligé de choisir son camp.

Il est à noter qu'une expérience de psychologie sociale permet de comprendre le phénomène. Elle avait le but inverse, en l'occurrence, mais cela revient justement au même. Elle consistait à proposer à une organisation étudiante de gauche un débat avec une organisation étudiante de droite (ou le contraire), puis à prétendre que l'autre organisation s'était désistée et à proposer à l'organisation restante de jouer le rôle de l'opposant, en préparant avec sérieux ses interventions pour être crédible. Il résultait de la meilleure connaissance de l'opinion de l'adversaire que les positions politiques premières s'émoussaient. Dans l'émission « L'Esprit public », c'est le contraire. La bienséance incite à la tolérance envers les positions les plus extrêmes masquées par le filtre des convenances, valides entre gens de bonne compagnie, mais impuissantes et même coupables envers ceux qui ne le sont pas.

Et on doit forcément constater que Max Gallo, qui est vraiment un extrémiste, disons « un peu couillon », finit toujours par se dévoiler. C'en est presque sympathique. Je suppose que c'est pour ça qu'on l'aime, et qu'il a fait carrière en ne paraissant pas trop dangereux à ceux à qui ne s'apercevaient pas qu'ils s'encombraient d'un boulet. Bon, on se dit qu'il n'est pas le seul ! Mais il a carrément plombé l'ambiance en enfonçant le clou :

« Le vrai problème qui se pose, c'est de savoir si derrière Marine Le Pen, ne s'avance pas, alors que nous l'avons contesté, un choc de civilisation. Mon analyse, c'est que, à l'échelle de l'Europe, il y a le problème fondamental de la confrontation entre une civilisation, la nôtre, celle des Gaulois, des Flamants, et de l'Italie du nord – une civilisation millénaire chrétienne –, et l'arrivée, en effet, d'une population importante, six millions de musulmans en France, qui rêvent de s'intégrer, mais qui sont arrimés à une façon différente de voir le rapport à la religion »

Comme il le dit lui-même, c'est bien lui et lui seul, avec son « choc des civilisations », qui s'avance masqué derrière Marine Le Pen. C'est bien lui qui y revient souvent, presque tous les dimanches, dans cette même émission. Il ajoutera même, parce qu'il l'avait sans doute préparé et qu'il n'allait pas le laisser tomber, qu'il trouve qu'on en rajoute un peu trop avec « la référence constante, dans notre débat politique, à la Deuxième Guerre mondiale » : l'occupation, le programme du CNR (Conseil national de la résistance ayant défini un programme social), les « rafles » (de sans papiers), la « police qui ressemble à la Gestapo » au procès des policiers qui avaient tenté d'accuser un innocent. Il y voit même un « cauchemar désiré ». Critiquerait-il Sarkozy et sa lettre de Guy Moquet et le parrainage d'un enfant juif mort en déportation ? Quoi qu'il en soit, on peut remarquer que Gallo est d'accord sur le fond avec Marine Le Pen, qui semble critiquer « ceux qui aiment beaucoup parler de la Seconde Guerre mondiale ». On se demande à qui elle fait allusion ! Bien que Gallo ne se prive pas non plus de donner des leçons d'histoire. Mais lui, il a le droit.

On opposera à Gallo qu'il est malheureux d'utiliser comme exemple de « notre » civilisation, les exemples « des Gaulois, des Flamants, et de l'Italie du nord » qui renvoient à une actualité d'extrême droite. Pourquoi l'Italie du nord, par exemple. L'Italie du sud n'est-elle pas chrétienne ? J'ai déjà eu l'occasion de signaler cette erreur raciste de Zemmour qui semble négliger que la religion chrétienne est une religion universelle et non blanche et européenne. Et il est difficile pour Gallo de se revendiquer de la laïcité en réaffirmant sans arrêt la « civilisation millénaire chrétienne », comme le pape et son discours de Ratisbonne (voir Raison et Religion) ou Sarkozy et sa laïcité positive. Gallo invente donc une situation bizarre, l'oxymore d'« ultramontanisme gallican » (par référence au souverainisme), qui réalise l'unité de la chrétienté sur le dos de l'islam. Il n'y a pas que les musulmans qui sont « arrimés à une façon différente de voir le rapport à la religion ».

Toujours ambigu, Philippe Meyer, outre son rappel un peu convenu à la force idéologique de la base militante du FN (qui renvoie plutôt à la prégnance passéiste), reconnaît à Marine Le Pen un bon coup politique sur la question de la laïcité. J'ai déjà eu l'occasion de souligner le mauvais coup politique raté par François Bayrou (au parti duquel Meyer appartient), quand il a lancé la campagne sur le référendum pour le Traité constitutionnel européen en jouant sur le refus de la Turquie. Et j'ai révélé le papisme idolâtre de Meyer dans un autre article. Pour la laïcité, il repassera lui aussi !

Denis Olivennes, seul homme de gauche présent (pourtant toujours conspué par la « gauche de la gauche » comme représentant de la pensée unique libérale – mais qui donne souvent le bâton pour se faire battre) a semblé avoir compris le problème en rompant la belle unanimité sur la question de la laïcité positive, chrétienne et papiste. Sur l'affaire du Quick halal, il trouve que le délire va trop loin et qu'il n'est pas hérétique envers la laïcité d'admettre des restaurants halal (Gallo insiste en disant que Quick oblige ses clients à manger halal). Olivennes propose, de faire comme les Canadiens : « il va falloir trouver des accommodements raisonnables » avec les musulmans « comme on en a trouvés avec les autres religions ». Ce qui prouve bien qu'il reste un démoniaque libéral communautariste et cosmopolite. Et il signale que les processions chrétiennes comme « le pèlerinage de Chartres » occupent aussi l'espace public. Il restera un peu court sur les autres exemples, et proposera simplement « le culte marial », « la bénédiction de la mère ». Où va-t-il chercher tout ça ? La déchristianisation est bien plus avancée qu'il le croit.

Philippe Meyer révélera de nouveau pour qui il penche en lui opposant (à deux reprises !) que : « Le pèlerinage de Chartres c'est une fois par an ». Le débat s'arrêtera sur le sujet en admettant magnanimement : « mais on est habitué ». Ce qui est un bel effort pour ce qu'il faut bien appeler une brochette de démocrates chrétiens. Sans doute peut-on attribuer cette transgression (tempérée) de l'interdit papal contre le relativisme à la lignée libérale, sous les auspices de Montesquieu qui nous incitait à nous demander comment on peut être mahométan.

Or, comme Max Gallo (ou Ponce Pilate), n'importe qui peut aussi enfoncer le clou, sans aller chercher bien loin. Il faut vraiment qu'« on soit habitué » pour ne pas remarquer que les églises (et les démocrates chrétiens) occupent quand même énormément l'espace public (ou ce genre d'émissions). On peut mentionner aussi l'omniprésence chrétienne dans les expressions courantes, la pub, les fêtes légales, etc. On connaît aussi le cas des cloches des églises, dont j'ai déjà eu l'occasion de signaler certains excès de la part d'un curé militant qui, dans un village, outre les messes et les vêpres quotidiennes, sonnait les heures, les demies, et les quarts. Notons aussi que quand il a été question des « accommodements raisonnables » trouvés avec les autres religions, les invités n'ont pas parlé du protestantisme et du judaïsme (Houlala !). Sur le sujet, on peut renvoyer à un texte de Bernard Lazarre) où il propose à Drumont une Saint-Barthélemy pour résoudre la question juive (ce qui a l'avantage de réunir les deux cas dans une sinistre prémonition). Bourlanges signalera que la séparation de l'Église et de l'État s'est mal passée.

Mais ce qui est quand même le comble, c'est que tout ce beau monde (Olivennes compris) ne s'est même pas aperçu que l'émission « L'Esprit public », sur France culture, venait juste après l'office catholique ! Décidément, un regard sociologique est vraiment indispensable, de toute urgence, pour repérer ce à quoi « on est habitué ». On remarquera aussi, à cette occasion, que la messe n'est pas une émission culturelle, contrairement aux autres émissions communautaires du dimanche matin, normales sur France culture, quoiqu'un peu faux cul sur le principe, et décalées ce jour-là pour les juifs et les musulmans (comme preuve d'intégration sans doute).

Il s'agit bien, à proprement parler, de la célébration d'un culte sur le service public, prétendument laïque !

La messe est dite.

Jacques Bolo

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