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Société - Novembre 2012

Le mariage pas gay rame

Résumé

Après mon article sur le « Mariage à la carte », explorons encore les contradictions des partisans et des adversaires du mariage gay.

Les 17 et 18 novembre 2012, deux manifestations, de traditionalistes ou de religieux et quelques autres, refusent le « mariage pour tous », expression qui caractérise le mariage gay. C'est une cause clivante. Ceux qui s'y opposent se mettent même à préférer le PACS, contrat d'union civile qu'ils combattaient naguère. Inversement, les anathèmes ont fusé de la part des partisans de cette extension des droits contre ceux qui y résistent. La cause paraissait entendue. On voit que ce n'est pas le cas.

L'erreur des partisans du mariage pour tous est de considérer que ce n'est pas un changement important. Les intellectuels de gauche insistent d'habitude sur l'importance du symbolique. Je pense assez généralement qu'ils ont tort. C'est de ce discours symbolique dont les traditionalistes religieux s'emparent, parce qu'il est naturellement le leur. C'est précisément pourquoi je le conteste : ce qui est de l'ordre du débat, c'est le rationnel. Mais ici, les intellos nient l'importance du symbolique pour les religieux, ce qui n'a pas de sens. Le problème de notre époque est d'abord le manque d'un minimum de cohérence. Il règne une inconséquence intellectuelle qui instaure le règne des faux culs. Et quand tout le monde joue au con, ce sont les cons qui gagnent.

On ne peut pas nier que le mariage a été jusqu'à présent l'union d'un homme et d'une femme. Cela ne veut pas dire que ça ne peut pas changer, mais c'est un gros changement (« symbolique » pour ceux qui aiment ça). Dire que tout se réduit à une construction sociale ou à un choix politique, comme le fait Eric Fassin, est ce qu'on appelle du constructivisme extrémiste, à la mode dans l'université, sur le modèle de la citation de Gaston Bachelard : « Rien n'est donné, tout est construit. » Ce qui est construit, ce sont nos concepts, mais pas la réalité. Cela ne veut pas dire que les concepts sont arbitraires et qu'il suffit de changer les mots pour changer les choses (comme le disait Orwell dans 1984). En fait, c'est tout le contraire, les concepts construisent des représentations qui se veulent de plus en plus exactes. On reconnaît aussi le « tout est politique » des communistes de jadis qui aboutit bien, paradoxalement, à une nouvelle forme d'idéalisme, ou de volontarisme, ce qui revient au même. En somme : « Le monde comme volonté et représentation » !

Les homosexuels profitent aujourd'hui d'un préjugé favorable à leur égard chez les classes intellectuelles avancées. Mais ils ont tort de considérer que c'est général. En 2004, le président Georges Bush Jr avait été réélu en utilisant ce clivage contre les démocrates américains. À l'époque, en même temps que les élections présidentielles, de nombreux états avaient organisé des référendums locaux sur le sujet du mariage gay pour mobiliser les électeurs les plus conservateurs. Et une grosse partie de la planète associe le mariage gay à la décadence occidentale.

Le schéma des militants homosexuels me paraît être un peu la fuite en avant. Cette tactique napoléonienne qui ne fortifie pas ses avancées risque de se trouver trop loin de ses bases. Plus prosaïquement, si le gouvernement actuel croyait que ce serait facile, il risque de s'être trompé. Les partisans du mariage gay ont été un peu optimistes, mais ils ont aussi manifesté un peu trop d'assurance sur la foi (laïque) de quelques bons sondages (j'espère qu'ils ne sont pas de ceux qui s'opposent par ailleurs aux sondages d'opinion, dont je parlais à propos de Bourdieu le mois dernier... Mais ça ne m'étonnerait qu'à 42,5 %).

Remarquons aussi que les opposants au mariage gay ont compris le truc en intitulant leur protestation « la manif pour tous ». Après les musulmans, voilà que les chrétiens s'affichent aussi, comme les gays dans la gay pride. Intéressant paradoxe quand les gays laïcards (dont Fourest) bannissent les signes religieux de l'espace public (contrairement à l'article 18 de la Déclaration des droits de 1948, d'ailleurs) en affichant une symbolique sexuelle en principe du domaine de l'espace privé. L'époque est à la confusion... des genres !

À la rigueur, on peut espérer que comme pour le PACS, après une assez forte opposition, le principe du mariage gay sera adopté du fait que ceux qui ne sont pas concernés ne sont pas gênés personnellement. Cette indifférence est d'ailleurs ce qui semble se passer dans les pays ou le mariage gay a été légalisé. Ce n'est pas la fin de la civilisation (qui a toujours supporté la présence d'homosexuels) ou du monde, malgré les prédictions mayas (au passage, je crois me souvenir de mes études, à propos des Mayas du Yucatan, qu'il s'agissait simplement d'un cycle du calendrier qui recommençait à zéro tous les 5125 ans).

Mais de la part des homos, cette volonté du « mariage pour tous », c'est-à-dire pour eux, si peu de temps après avoir milité pour le PACS, et l'avoir obtenu en 1999, est quand même un peu bizarre (queer). Si cette union civile connaît un succès important, ce sont essentiellement les hétéros qui en profitent après un engouement des gays eux-mêmes : 24 % d'homos en 2000, 4% aujourd'hui, pour une augmentation du nombre de contrats de 22 271 à 205 558 en 2011 (source : Le Monde, 23.10.2012). Mais il me semble que cela remplace simplement la déclaration de concubinage, d'autant que « depuis la mise en place du PACS en 1999, les mairies n'ont plus l'obligation de délivrer ce document » (source Wikipédia).

Un argument principal du PACS avait été celui du partage du bail pour deux personnes vivant sous le même toit. La cause réelle en était qu'un des partenaires homosexuels se retrouvait à la rue en cas du décès de son partenaire détenteur du bail. C'était une situation anormale pour des personnes jeunes, mais le SIDA avait créé de nombreux cas de ce genre. On peut supposer que la crise du logement a été la meilleure propagande pour le PACS auprès des couples hétérosexuels. Mais il me semble que les militants homosexuels en aient conclu un peu trop optimistement qu'ils peuvent avancer leurs pions en se fondant sur des sondages favorables. Au mieux, la plupart des gens ne sont pas contre le mariage gay. Mais ils ne se sentent pas forcément concernés.

Cette affaire pose le problème des priorités. On sait que le débat politique actuel mentionne souvent cette question de la primauté à l'économie contre les sujets de société. J'ai eu l'occasion de dire ailleurs que cela correspondait à la stratégie communiste des « contradictions principales » et des « contradictions secondaires » pour remettre ce genre de réformes aux calendes grecques. Je ne vais donc pas dire le contraire. Mais il ne faut pas non plus que les homos jouent sur les deux tableaux. Par exemple, si les homosexuels s'intéressent à ceux qui se retrouvent à la rue, il existe beaucoup de personnes qui dorment dehors. L'hiver approche. (Dans l'article « Pauvreté et droit de cité », j'avais proposé la solution des baraques de chantier qui pourraient être mise en œuvre immédiatement). On peut constater justement que c'est une urgence qui est perpétuellement considérée comme « secondaire », d'où la « contradiction »...

Une illustration de ce double langage me paraît être l'attitude de Caroline Fourest, militante gay s'il en est. J'ai eu l'occasion de mentionner sa tendance à l'utilisation des raisonnements assez faux culs à plusieurs reprises, en particulier pour l'autre engagement de François Hollande sur le droit de vote des étrangers (sur lequel j'avais fait un autre article). Quand elle soutient que : « Dans l'absolu, c'est même un renoncement à l'un des traits marquants du modèle hérité de la Révolution française : où l'exercice de la citoyenneté est conditionné par le désir d'appartenir à la nation. Il mérite donc qu'on en discute. » Outre son erreur, à la fois factuelle et théorique (voir l'article), concernant la Révolution française, certains pourraient dire la même chose sur le mariage gay en reprenant les arguments des opposants sur les traditions, la nature, la psychologie, etc., qui ne sont pas forcément ridicules, même s'ils sont (aussi) un peu faux culs. Et, comme Fourest ajoute : « sans qu'une certaine gauche dégaine le soupçon de racisme envers toute personne non convaincue d'avance », on pourrait en dire de même à propos de l'accusation immédiate (voire préalable) d'homophobie. Si Fourest continue, on va pouvoir l'appeler Carolina Oups !

On se souvient, ou non, que le PACS avait été adopté en promettant sur ses grands dieux (laïques) « il n'est pas question, ni aujourd'hui ni demain, que deux personnes physiques du même sexe, quel que soit leur sexe, puissent se marier » (selon la ministre socialiste Élisabeth Guigou, source Le Monde, 23.10.2012). Quand les opposants au mariage gay disent que « l'étape suivante est la légalisation de la polygamie », ils font évidemment une allusion sournoise à l'islam. Mais sur le fond, on peut admettre que le droit pourrait aussi légaliser une situation de fait dans le cas d'une personne avec plusieurs partenaires. Il faut noter que c'est d'ailleurs ce qui s'est produit à propos des enfants. Les enfants anciennement illégitimes ont progressivement acquis les mêmes droits que les autres (1972). C'est aussi plus ou moins le cas de leurs mères (1975) ou des pères successifs des enfants d'une même femme. Puisqu'il en est question, autoriser la polygamie résoudrait même la crise du logement !

Pour l'argument de la légalisation de la zoophilie, c'est plus méchant. Les arguments volent bas, mais c'est la règle en la matière (les gays si provoquants d'habitude ne vont pas se mettre à faire les chochottes). Mais les animaux ne sont pas susceptibles de consentement. Par contre, on pourrait y voir une allusion à la possibilité avérée (semble-t-il) d'hériter de son maître pour un animal. Ce qui me paraît excessif. Mais ce genre de « créativité juridique » existe si on admet un peu trop dogmatiquement que tout est construit !

Le fond du problème me paraît plutôt la question de la légitimité de l'État à définir des règles. Sur quoi doivent-elles se fonder ? La majorité (laïque ou religieuse) peut-elle imposer ses normes à la minorité ? J'ai parlé de l'opposition entre république et démocratie sur cette question. On est bien sur la question des « accommodements raisonnables » des Canadiens, que refuse d'ailleurs encore Caroline Fourest au nom de l'universalisme. Très jacobine, elle considère que la généralité du « mariage pour tous » ou du PACS est le critère, alors que pour le PACS, nous avons vu qu'il existe un problème d'interprétation (en terme de substitut au concubinage). Pour le mariage gay, le républicanisme gay qui se croit majoritaire aujourd'hui me paraît oublier la prise en compte de ce qu'il considère comme la minorité, en oubliant assez rapidement qu'il était dans cette position il y a peu. Au passage, notons que raisonner en termes de « ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous » (de la part des deux camps) est dépassé, puisqu'on parle juste de légaliser la prise en compte du vote blanc. C'est limite la gaffe, si ça supprime les majorités, vu la faible présence aux assemblées ! L'exigence d'une majorité réelle (ou qualifiée) est ce que devrait signifier la prise en compte du vote blanc. Sinon, ce n'est que parole verbale.

Cette question des majorités est justement un problème quand une telle question concerne sans doute vraiment très peu de monde. C'est plus une question de principe. Ou tout au moins, c'est comme ça qu'on la pose, « à l'Américaine ». Puisqu'on parle des États-Unis, j'ai déjà dit que j'ai l'impression que ce désir de mariage concerne plutôt ce qui nous est montré dans des films et des séries américaines sur des cérémonies de mariage démesurées, ou les modes de l'adoption par les stars hollywoodiennes. Vu l'époque, on pencherait assez pour la société du spectacle, la vie par procuration, ou le bovarysme. Les militants se prennent toujours pour des révolutionnaires, les réactionnaires pour des croisés, et les gays nous la jouent midinettes. À une autre époque, on disait qu'il n'y avait plus que les curés qui voulaient se marier. Bref, on nous parle de droit, mais on ne comprend pas, de part et d'autre, que cela signifie, comme je l'ai montré à propos du « Mariage à la carte », l'institutionnalisation du fait (mariage traditionnel ou mariage gay) sous la pression des minorités actives.

Jacques Bolo

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