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Culture / Éducation - Novembre 2023

L'amie prodigieuse (saison 1, 2018)

Résumé

Bonne adaptation du roman d'Elena Ferrante, malgré quelques choix esthétiques qu'on peut aussi discuter, qui nous montre les péripéties scolaires et adolescentes de deux jeunes filles napolitaines de l'après-guerre. Est-ce qu'il faut y voir un retour du néo-réalisme ou une reconstitution cinématographique pour nous rappeler d'où l'on vient ?

L'amie prodigieuse Titre Original : L'amica geniale, Scénario : Saverio Costanzo, Elena Ferrante, Laura Paolucci, Francesco Piccolo, Mirko Cetrangolo, Réalisateurs : Saverio Costanzo, Alice Rohrwacher, Daniele Luchetti, Production : Laura Paolucci, Sara Polese, Nadia Khamlichi, Martin Metz, Adrian Politowski, Luigi Mariniello et Francesco Nardella, Avec : Margherita Mazzucco, Elisa Del Genio, Gaia Girace, Ludovica Nasti, Anna Rita Vitolo, Luca Gallone, Imma Villa, Antonio Milo, Alessio Gallo, Valentina Acca, Antonio Buonanno, Dora Romano, Nunzia Schiano, Giovanni Amura, Gennaro De Stefano, Francesco Serpico, Federica Sollazzo, Anna Redi, Clotilde Sabatino, Ulrike Migliaresi, Christian Giroso, Giovanni Buselli, Giovanni Cannata, Francesco Russo, Bruno Orlando, Daria Deflorian, Matteo Cecchi, Matteo Castaldo, Daniele Cacciatore, Raffaele Nocerino, Davide De Lucia, Cristina Fraticola, Gaia Buongiovanni, Sarah Falanga, Fabrizio Cottone, Daniel Campagna, Giuseppe Cortese, Lia Zinno, Francesca Pezzella, Pina Di Gennaro, Emanuele Valenti, Fabrizia Sacchi, Miriam D'Angelo, Catello Buonomo, Federica Barbuto, Mattia Iapigio, Elvis Esposito, Mimmo Ruggiero, Patrizia Di Martino, Rosaria Langellotto, Kaycie Chase, Valentina Arena, Riccardo Palmieri, Giorgia Gargano, Enrico D'Errico, Giustiniano Alpi, Alessandro Bertoncini, Francesco Saggiomo, Ilaria Zanotti, Maria Rosaria Bozzon, Giulia Mazzarino, Maurizio Tabani, Gabriele Vacis, Alba Rohrwacher

Cette première saison de la série me paraît une bonne adaptation du roman d'Elena Ferrante. La noirceur des rapports humains y est accentuée par celle de l'image et des décors. Ça me rappelle un peu La Môme (2007), film d'Olivier Dahan sur Édith Piaf, où la photo était assombrie comme à la lueur d'ampoules faiblardes. Dans L'Amie prodigieuse, les multiples réalisateurs ont cru bon de marquer la misère des quartiers par l'aspect vert-de-gris de l'image. C'est un peu paradoxal si on considère la lumière crue de l'Italie du sud, qui transparaît même dans les films en noir et blanc de la grande époque. De plus, il me semble que dans les années 1950, ces immeubles, construits à l'époque fasciste, devaient être encore neufs (et les habitants contents d'y vivre). Tout semble vieux à l'intérieur aussi. On se croirait dans des taudis actuels (style Bronx). Il me semble que cette représentation misérabiliste est un biais actuel dans beaucoup de domaines.

Ça me rappelle un ancien sketch où un cabotin de théâtre célèbre devait jouer un évêque du XVIIe siècle. Il refuse de répéter avec un livre quelconque pour figurer un livre de messe. On lui en trouve un quelque part. Il en traînait quand même un peu partout à l'époque. Il le refuse en disant qu'un évêque aurait un missel plus luxueux. On peut ici faire durer la blague avec plus de péripéties. Finalement, le régisseur va faire acheter un missel somptueux chez un bouquiniste spécialisé. Il le lui apporte, satisfait de pouvoir enfin reprendre les répétitions. L'acteur refuse encore ! On lui demande pourquoi, après tout le mal qu'on s'est donné. Il réplique : « À l'époque, il était neuf ! » Belle leçon de rigueur inutile du théâtreux chicaneur. Les accessoiristes devraient en tenir compte...

Sinon, le roman me paraît plus vivant quand même et plus centré sur les deux petites filles. Tous les figurants et la fillette jouant la narratrice me paraissent un peu trop statiques. Sans doute est-ce un choix qui veut accentuer la narration en voix off pour marquer les souvenirs de l'héroïne. Tout semble défiler comme dans un rêve. Ça donne un petit côté fellinien pas forcément déplaisant, mais un peu trop appuyé quand même.

Comme dans le roman, les drames permanents me paraissent pourtant des fioritures racoleuses. Ce qui est intéressant est plutôt le contexte scolaire et culturel de l'époque, que certains ont le tort d'idéaliser aujourd'hui. D'autant que l'argument principal de l'histoire est bien que seulement certains pouvaient continuer leurs études (le nombre de bacheliers est passé de 1 % en 1900, à 4 % en 1936, 15 % en 1970, 70 % en 2000 en France). La plupart de ceux qui se plaignent de la baisse du niveau auraient donc commencé à travailler à 14 ans, puis 16 ans à partir de 1959 (en France).

Ce qui me paraît bien rendu est la sorte d'ignorance généralisée des choses du monde et de la vie pour les jeunes, ou même les adultes, de cette époque. Prendre connaissance des nouvelles seulement par la radio leur donnait un côté un peu abstrait. Dans mon compte rendu du roman, j'ai aussi signalé que le livre me paraissait une sorte de variante du livre de Simone de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée (1958), en transposant les relations de deux fillettes d'un milieu très bourgeois parisien dans celui de deux fillettes du milieu très populaire napolitain. J'indiquais que Beauvoir avait eu tendance à projeter sa conscience d'adulte (célèbre) sur la jeune fille qu'elle était, alors que Ferrante a beaucoup mieux rendu la psychologie enfantine qui découvre la vie. Sans doute l'idéalisation de l'école d'alors provient du fait qu'elle faisait sortir d'une sorte d'obscurantisme culturel et social ritualisé les rares jeunes qui avaient la chance de faire des études secondaires. On ne s'en rend plus bien compte aujourd'hui.

Curieusement, il me semble que les élites actuelles se comportent encore comme si elles étaient destinées à apporter les lumières à des masses incultes. C'était la situation décrite par le roman, entre l'institutrice maternaliste et l'intellectuel prédateur qui complétaient le carcan mafieux sur lequel la série me semble plus insister que le roman. On sait que l'époque d'alors se partageait entre l'Église et le Parti communiste pour le contrôle social du petit peuple. Ceux qui regrettent le bon vieux temps se prennent sans doute à leur tour pour des directeurs de conscience.

Cette série et le roman évoquent l'émancipation par la culture des jeunes filles de la génération née en 1944. Elles étaient encore minoritaires à y parvenir. Cette libération intellectuelle s'est diffusée progressivement pour une grande partie des classes d'âge postérieures. Les petites filles qu'on nous montre correspondent à la première génération des boomers. Ceux qui aujourd'hui les critiquent ne savent pas de quoi ils parlent. Ils devraient plutôt se satisfaire de n'avoir pas à refaire tout le chemin qui a été parcouru depuis cette triste période. C'est pourtant pas compliqué. Il suffit de regarder la série pour s'en rendre compte.

Jacques Bolo

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