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Politique - mars 2015

Bilan - Départementales 2015

Résumé

Au cours de ces élections départementales 2015, le leitmotiv a été la question du Front national, mais la véritable question était celle de la représentativité. La politique consiste à chercher à y échapper.

Après les deux tours, les 22 et 29 mars 2015, comme à l'accoutumée, tous les politiciens invités dans les médias se sont félicités de leurs résultats. L'UMP-UDI-Union de la droite, parce qu'ils sont arrivés en tête avec 37,59 %. Le PS et alliés, parce qu'ils ne se sont pas complètement effondrés, avec 25,49 %. Le FN parce qu'il a réalisé son meilleur score, 22,23 %, bien qu'inférieur à ce qu'il attendait.

Comme l'a assez justement analysé Paul Quilès, la gauche a mal joué le coup en faisant précéder ces élections par une loi qui visait à supprimer les départements, pour finalement les maintenir. Le millefeuille électoral profite à de nombreux élus qui refusent d'abroger leur compétence générale. On n'évitera pas les doublons de si tôt.

Personnel politique

La thématique du moment était le tripartisme avec l'installation du Front national dans le paysage politique. Notons que, pour le FN, le bipartisme continue puisqu'il prétend s'opposer à l'UMPS. La réalité est plutôt qu'on ne parle plus que du FN au lieu de parler de programmes politiques. On peut le comprendre. Le tripartisme signifie surtout que les élus s'inquiètent de leurs éliminations sèches du fait de l'abstention à 50 % et de la règle des 12,5 % des inscrits pour se maintenir au second tour. Il leur faut donc réaliser 25 % des votants. Les triangulaires font le reste. Du coup, à quoi ça sert de parler de programme puisque l'élection devient du hasard.

La cause véritable est simplement le scrutin majoritaire qui élimine les petits partis de toute représentation. Jusqu'ici, ça marchait bien pour éliminer le FN. Avec un FN à 30 % des votants, les deux autres partis sont au même niveau. Et encore faut-il qu'ils aient réussi à s'unir. Sinon, le FN est en tête. C'est ce qui s'est souvent produit. La droite est en tête parce qu'elle a réussi à se regrouper un peu mieux que la gauche et que les électeurs de gauche ont voté à droite pour éliminer le FN. La gauche n'a pas disparu parce que les électeurs ont voté utile, mais elle s'effondre parce que le travail de sape de la gauche de la gauche pour discréditer le PS a favorisé l'abstention.

J'ai déjà eu l'occasion de dire que la politique consiste essentiellement à réaliser des coalitions, tout simplement parce que diverses tendances, et diverses écuries de candidats potentiels, existent dans tous les camps. Le choix est simple. La seule question est 1) de savoir si on veut des élus ou si on veut « une candidature de témoignage » ; 2) si on veut risquer sa chance tout seul pour rafler le maximum sur le principe du dilemme du prisonnier, en risquant de faire perdre son camp ou si on se contente d'une part (qui reste à évaluer).

Concrètement, la droite a préféré assurer. La gauche avait préféré tenter le coup du chacun pour soi les fois précédentes (contrairement à ses prétentions sempiternelles à jouer collectif). Le PS espérait être hégémonique et la gauche de la gauche (PDG, PC, gauchistes) espérait passer devant le PS, en cautionnant le discours du FN sur l'UMPS (dans la tradition du Komintern contre les sociaux-démocrates). Comme ça a foiré, les écolos ont marché dans l'attelage cette fois-ci pour éliminer en interne ceux d'entre eux qui veulent plutôt s'allier au PS. Au final, les candidats de gauche ont souvent été éliminés au premier tour et perdent donc une bonne partie de leurs élus et la gauche une trentaine de départements.

Avec souvent plus de 30 ou 40 %, le FN se voit aux portes du pouvoir. Avec le recentrage, on commence à voir des ralliements. Il y a des postes à prendre. Mais pour le moment, on met n'importe qui en attendant l'arrivée des transfuges ou des jeunes aux dents longues. C'est ça qui a commencé.

Au fond, la situation actuelle repose surtout sur l'incapacité des partis traditionnels à renouveler le personnel politique. C'est aussi un effet secondaire de la forte augmentation de la durée de vie depuis cinquante ans. Ça devrait commencer à se tasser avec la prochaine retraite des premiers baby-boomers, qui atteignent soixante-dix ans actuellement.

Analyses politiques

Les analyses sont généralement incorrectes. Sur l'extrême droite : il est bien évident qu'une analyse sur une ligne droite/gauche génère forcément une extrême droite et une extrême gauche (et un centre). Concrètement, la tradition politique française correspondait d'ailleurs à l'existence de quatre partis (plus les groupuscules). Au final, l'extrême droite votait à droite et l'extrême gauche votait à gauche.

La vraie nouveauté est plutôt que l'extrême gauche est divisée avec la fin du PC et l'apparition des écolos. Le cas de l'extrême droite est différent. Au départ, le FN fédérait l'anti-gaulliste résiduel des deux guerres précédentes, la Deuxième Guerre mondiale et la Guerre d'Algérie. Mais la droite autoritaire réelle était plus large et se répartissait d'ailleurs entre les gaullistes et les libéraux (d'où certaines ambiguïtés).

Avec l'arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, il est normal que l'extrême droite se soit radicalisée. Rappelons qu'à l'époque, certains craignaient l'arrivée des chars russes ou, plus concrètement, ont placé leurs économies en Suisse. L'extrême droite réelle a progressivement retrouvé sa définition bêtement statistique sur l'axe droite-gauche. On peut toujours diviser une ligne en quatre parties : extrême droite, droite, gauche, extrême gauche, 25 % pour chacune. Ou en cinq avec un centre, 20 % chacune. Avec un peu plus ou un peu moins pour l'une ou pour l'autre selon la qualité des candidats ou des programmes.

La stigmatisation du FN, du fait de la personnalité de son leader, Jean-Marie Le Pen, a simplement permis à la gauche de diviser la droite. Mais l'erreur de Marine Le Pen est de (faire semblant de) croire qu'elle représente le peuple. Même si elle recentre son parti, elle représente simplement l'extrême droite. Refuser ce terme comme elle refuse les termes « fasciste » ou « raciste » revient simplement à refuser la qualification des comportements constatés de ses candidats, militants ou électeurs.

Du fait de la réussite provisoire de cette manoeuvre, la gauche s'était fait des illusions sur ses succès. Parallèlement, il est normal que l'extrême gauche soit plus active quand la droite est au pouvoir. Le truc de considérer le PS comme de droite permet de tenter de pérenniser cette progression. Mais la limite est évidemment que si tous les autres partis, PS compris, sont de droite, la gauche est donc très minoritaire. C'est effectivement la norme. J'avais montré en 2007 que la gauche n'avait presque jamais été majoritaire (n'en parlons même pas si on enlève les socialistes).

Elections présidentielles françaises 1965 1969 1974 1981 1988 1995 2002 2007
Gauche socialiste 33,43% 8,63% 43,25% 29,17% 34,11% 23,30% 23,82% 25,87%
Gauche communiste 0,00% 22,33% 4,02% 21,53% 15,01% 17,54% 19,05% 10,56%
Total Gauche - 1er tour 33,43% 30,96% 47,27% 50,70% 49,12% 40,84% 42,87% 36,43%
Droite 61,37% 69,04% 48,64% 49,30% 36,50% 39,42% 32,51% 49,75%
Droite Extrême 5,20% 0,00% 4,09% 0,00% 14,38% 19,74% 24,62% 13,82%
Total Droite - 1er tour 66,57% 69,04% 52,73% 49,30% 50,88% 59,16% 57,13% 63,57%

Évidemment, tout ça ne veut pas dire grand-chose en termes de programme. L'idée d'UMPS n'est pas mauvaise pour désigner les oppositions nationales/internationales, bien qu'elles ne soient évidemment pas réelles : les fascistes et les communistes ont toujours été internationalistes, les bourgeoisies et les bobos ont toujours une clientèle locale. Dans tous les camps, on constate aussi les divisions sur la laïcité ou le relativisme, les moeurs, l'économie, la sécurité, la culture, le travail, l'éducation... La réalité est plutôt que chaque personne, de gauche ou de droite, émettra toujours des réserves sur un point ou sur un autre qui le fait paraître de l'autre camp s'il n'arrive pas à le dissimuler. La politique commence souvent avec la mauvaise conscience... ou la suspicion.

L'abstention, que tous les partis essaient de s'approprier, signifie bien sûr que les partis n'arrivent plus à fidéliser leurs anciens électeurs, puisque c'est généralement le but, avant l'acquisition de nouveaux prospects. Mais ça peut aussi signifier, contrairement aux affirmations traditionnelles, que l'élu local n'est plus perçu comme l'instance de décision légitime, soit que les niveaux supérieurs suffisent (d'où la suppression des échelons électoraux), soit que les citoyens estiment pouvoir se passer du service public (privatisation des choix).

En 2007, j'avais aussi parlé de « fin de la politique » pour signifier que la réalité n'est ni de droite ni de gauche, et qu'au final, les antagonismes sont surtout du marketing. Le FN fait d'ailleurs un assez bon succès avec son UMPS bonnet blanc, blanc bonnet. Du coup, certains pensent qu'il faudrait « essayer le FN » pour voir. Mais la véritable question est de savoir si une alternance FN/FDG est préférable à une alternance UMP/PS. Les choix réels ne concernent que différentes versions de la social-démocratie, comme je le disais ce mois-ci à propos de Mélenchon et l'Ukraine.

Représentativité

Une solution pour une meilleure représentativité, FN compris, serait plutôt d'essayer la proportionnelle intégrale. Maintenant que les grands partis risquent d'être éliminés, peut-être vont-ils trouver la solution plus attrayante ? La proportionnelle ne permet pas de faire des coups où the winner takes all. Elle dilue les risques et garantit mieux l'élection de ceux qui s'engagent dans la durée. Ce n'est pas illégitime. La représentativité des petits partis permet de renouveler le personnel politique, car ceux qui sont mécontents du ronron des partis installés ont une chance de se frotter aux électeurs sans devoir entrer dans les organisations qu'ils critiquent. Ce sont les électeurs qui tranchent et ils ont le choix.

Michel Rocard avait cru faire oeuvre utile (et un coup d'éclat) en démissionnant de son poste de Premier ministre le 4 avril 1985 pour s'opposer à l'instauration la proportionnelle instaurée pour les législatives de 1986. Mais un entretien avec Alain Finkielkraut, le 24 février 2007, avait montré qu'il reprochait surtout à Mendès-France de ne pas avoir annoncé à la presse qu'il acceptait le poste de Président du conseil à la sortie d'une réunion dans un café ! C'est entre « camarades » que se décidaient les candidatures. Et c'est de ça qu'il est question quand on parle d'arrangements entre les partis. Ce n'est pas parce que les partis existent pour représenter les citoyens (quoi d'autre ?). Du coup, si on analyse bien les choses, on n'est vraiment pas obligé de regretter cette époque.

Jacques Bolo

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