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Humour - Janvier 2014

Gaspard Proust, nazi cool

Résumé

La kommandantur a organisé un spectacle au Théâtre du Chatelet. Grosseu rigoladeu ! Intéressant dans ce contexte début de siècle. Humour vache et le prisonnier.

En pleine affaire Dieudonné, ça fait drôle d'assister au spectacle de Gaspard Proust (sur Canal+). Son one man show n'est pas piqué des doryphores, comme on surnommait les soldats de la Wehrmacht pendant la Deuxième Guerre mondiale. Son parti pris est de faire rire avec un personnage qui exploite le créneau de l'humour vache qui s'attaque un peu à tout le monde, mais plus particulièrement aux valeurs humanistes, aux femmes, à la gauche (avec quelques équivoques). On découvre petit à petit que le personnage semble éprouver des sympathies pour le nazisme dont il fait partager quelques refrains et digressions littéraires en langue originale parfaitement maîtrisée.

On semble avoir affaire à une sorte de nietzschéisme cynique d'un étudiant d'école de commerce contre le politiquement correct (« je me comprends »). Ce qui n'est pas forcément très cohérent puisqu'il semble plutôt s'adresser à un public très intellectuel. Il asticote à plusieurs reprises les lecteurs de Télérama dans le public. Ils doivent aimer ça. Proust manque un peu sa cible en considérant seulement les femmes comme des bimbos incultes, au lieu de moquer leur côté intello sur le mode des Frustrés de Brétécher. On peut attribuer ça aux faiblesses du personnage ou à quelques facilités d'auteur.

Même si l'ensemble est équilibré, on se dit que l'époque est à une sorte de provoc gratuite contre les supposés tabous du moment. Le principe du one man show en est sans doute la cause. Au lieu de construire des sketches qui mettrait en scène un personnage autonome et permettrait à l'humoriste de s'en distancier, il est contraint à jouer l'ambiguïté d'incarner sa création. Quand le sujet est politique, on pourrait penser qu'il y a un lien avec les idées de l'artiste.

Coluche disait qu'il arrêterait de faire de la politique quand les politiciens arrêteraient de nous faire rire. Il n'est pas si sûr qu'il y ait vraiment une différence. À l'occasion des anciennes affaires des mots d'esprit de Le Pen, qui lui avaient valu des condamnations, on avait pu constater que les extraits de ses meetings ressemblaient beaucoup à des one man shows. La différence avec les comiques consiste surtout dans le mécanisme qui consiste à dégonfler la baudruche régulièrement par des absurdités évidentes. Je pense par exemple au sketch de Smaïn, où il joue un candidat aux présidentielles et finit par offrir un couscoussier en inox, comme un bonimenteur de foire. Il est vrai que les politiques en sont au même niveau quand Mélenchon, à propos de la crise grecque, propose que les Grecs ne remboursent pas (aux banques françaises d'ailleurs) et exige que l'Europe continue de leur prêter quelques milliards. Il voudrait faire monter les taux qu'il ne s'y prendrait pas autrement. Et il n'est pas le seul dans la concurrence aux inconséquences, qui bat son plein. Bref, c'est surtout le théâtre qui fait la différence. C'est moins clair à la télé où les deux se mélangent.

Gaspard Proust, précisément, assume à plusieurs reprises les vannes réacs qu'il balance. Il joue le personnage à fond. Il s'en délecte ostensiblement en défiant le public. C'est parfois un peu facile. Il pourrait être encore plus odieux. On s'aperçoit que ses incohérences seraient plutôt des faiblesses quand il s'attaque à Brassens ou à Pagnol. Dire que Brassens ne chante pas est une resucée. On le disait déjà de son temps. On lui reprochait plus justement de n'être qu'un chansonnier, ce qui signifiait précisément humoriste : le genre était chanté à l'époque. Il me semble que la vraie raison était que Brassens pratiquait le mélange des genres. Ce qui n'est jamais apprécié des puristes. Quant à Pagnol, dire que Jean de Florette est seulement une histoire de source qui est bouchée et qu'on débouche est vraiment un peu faiblard, comme ironiser sur les seuls titres des films La gloire de mon père et Le château de ma mère !

Une des raisons, outre sa jeunesse, pourrait être ce qui nous est vendu en paratexte biographique sur Gaspard Proust. Originaire de Slovénie, il aurait grandi en Algérie où sa famille aurait fui la Guerre de Yougoslavie, et nous serait revenu via la Suisse. Mais cela explique davantage ses connaissances de l'Europe centrale que sa légèreté de traitement. Il a quand même grandi dans des pays francophones, et il suffit de se documenter un peu. Car le public qui connaît le sujet est forcément déçu par ces fausses vacheries. La provoc anti-gauche tourne ici au chansonnier politique, traditionnellement lourdingue. On dit « one man show », aujourd'hui.

On remarque au passage que les quelques blagues sur les juifs et l'argent font toujours beaucoup rire, même associées avec la déportation. Plus que le reste, même. Proust le remarque aussi. C'est surtout cette option répétée de tenir un discours sur son public et son propre personnage qui opère une distanciation (digne de Télérama). Preuve, s'il en était besoin, que le niveau culturel est en hausse. On n'est plus dans le comique troupier (encore qu'il ne faudrait peut-être pas le sous-estimer). Comme Proust le dit à la fin de son show : « ce second degré permanent,... c'est insupportable. » Mais c'est pratique, chacun peut comprendre ce qu'il veut ! Proust à raison de classifier son public et d'en donner un peu à tout le monde. C'est du marketing politique.

Tous ces humoristes ne sont pas sérieux !

Jacques Bolo

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