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Références / Religion / Philosophie - Février 2018

Érasme, Éloge de la folie (1508)

Résumé

L'Éloge de la folie est une sorte de pamphlet qui évoque la situation des clercs à l'époque des guerres de religion. Si on peut penser qu'il s'agit d'une satire qui prétendrait surtout décrédibiliser les intellectuels, il faut bien constater à la lecture qu'ils s'en chargent très bien eux-mêmes. La solution d'Érasme ne vaut guère mieux.

Érasme, Éloge de la folie (1508), Postface par Philippe Farget, coll. « Mille et une nuits », n° 136, éd. Arthème Fayard, Paris, 2006 (1997), 204 p.

Ce petit livre est à l'origine une lettre d'Érasme (1469-1536) à son ami Thomas More (1478-1535), Morus en latin. Elle joue sur les mots Morus/Moria (folie en grec) « quoique ce rapport ne soit que dans les noms » (p. 7), allusion à la position nominaliste de la scolastique médiévale. Érasme choisit de faire parler la Folie elle-même, incarnée en déesse de l'Olympe, faisant son propre éloge pour revendiquer la légèreté (p. 13). Érasme venant de justifier le droit à la satire dans la préface.

C'est ainsi la Folie qui parle et qui nous dit : « le discours que je vais vous faire ne sera ni prémédité ni étudié, et par conséquent il en contiendra moins de mensonges », évoquant la ruse des orateurs qui prétendent composer du premier jet « après avoir travaillé trente ans un discours dont ils ont pillé la meilleure partie » (pp. 16-17). La cible d'Érasme sera particulièrement les intellectuels de son temps tout au long de sa satire : « ces pédants, qui surchargent aujourd'hui la tête des enfants d'un fatras de bagatelles difficiles et qui leur enseignent à disputer avec plus d'opiniâtreté que des femmes » (p. 14), sachant que c'est bien une femme qui prétend parler.

La Folie se réclame de Sophocle pour nous dire que « la vie la plus agréable est celle qui se passe sans aucune espèce de sagesse » (p. 26) et elle mobilise tout un recueil de citations antiques. Cette folie est nécessaire pour les dieux comme pour les sages stoïciens. Il faut être fou dans l'amour pour oublier les inconvénients du mariage, de l'enfantement qui est à l'origine de tout : des rois comme des moines. La folie est mère des plaisirs, de l'innocence enfantine, de l'oubli des misères (p. 23-25). Les dieux sont fous : Bacchus est toujours fou, Cupidon toujours enfant, Jupiter joue des tours, filouterie de Mercure, bouffonnerie de Vulcain, Satyres obscènes, Muses enivrées. Car Jupiter a donné aux hommes plus de passion que de raison (pp. 32-36).

La Folie nous dit que Dieu a donné une femme à l'homme pour compagne « animal extravagant et frivole, mais [...] aussi plaisant et agréable, [...] une femme est toujours une femme, c'est-à-dire toujours folle, quelques efforts qu'elle fasse pour se déguiser » (pp. 37-38). Érasme reprend ici le stéréotype de la femme du Moyen-Âge par opposition à l'incarnation mythologique valorisée en déesse de la Folie qu'il utilise. On peut remarquer que le cadre chrétien médiéval avait déjà abandonné la valeur abstraite des dieux de l'Olympe pour renvoyer à la matérialité pécheresse de nos petites misères. Une chanson de Brassens mettant en scène le Grand Pan par contraste à la modernité prosaïque de la science écartait la différence avec le christianisme. Érasme et la Renaissance rétablissaient la référence allégorique antique.

Folie humaine et imbéciles heureux

Quand la Folie évoque ses suivantes : l'Amour-propre, Flatterie, Oubli, Paresse, Volupté, Démence, Délice, Comus [sorte de Bacchus romain], Morphée (p. 22) et tout au long du texte, on pourrait voir une contradiction dans ce qui apparaît bien comme une critique moralisante. La folie de la guerre qui donne aux soldats « d'autant plus de courage qu'ils ont moins de bon sens » (p. 47) et l'impuissance de la raison des philosophes, tout aussi incapables de gouverner que de maîtriser leur vie privée ou sociale, contrairement à ce que dit Platon. Il a lui-même été incapable de défendre Socrate (pp. 48-51). Les philosophes ne sont pas des modèles : « ces sages qui se croient autant de petits dieux, l'amitié ne les unit presque jamais » (p. 41). Quant aux peuples, ils sont manoeuvrés par la folie des fables et non par la raison : « c'est par de pareilles niaiseries qu'on peut remuer cet énorme et puissant animal qu'on appelle le peuple » (pp. 52-53).

La Folie oppose même la prudence (vertu aristotélicienne) du fou qui se confronte au réel plus que « le sage toujours collé sur les livres des anciens. [...] Le fou apprend à être sage à ses propres dépens » (p. 52). Mais elle affirme simultanément que la folie rend audacieux (p. 55) et sait s'adapter à la relativité des situations (p. 58). Contrairement à Sénèque, la Folie voit une monstruosité dans l'homme sans passion (pp. 59-60). Il n'est pas dans la nature de l'homme d'être sage : « les sciences et les arts ne viennent point de la nature » (pp. 66-67). On pourrait reconnaître dans Heidegger un adepte de cette Folie qui nous dit que « les bonnes gens de l'âge d'or ne connaissaient point toutes ces sciences vaines et pernicieuses » (p. 67). Car « plus les hommes s'adonnent à la sagesse, plus ils s'éloignent du bonheur. [...] Ils entassent [...] sciences sur sciences, arts sur arts et s'en servent comme autant de machines pour faire la guerre à la nature » (p. 72). Érasme est-il le père du romantisme dans son éloge de la folie contre la raison ?

La Folie nous dit que « l'homme est le plus malheureux de tous les animaux parce qu'il est le seul qui ne soit pas content de son sort » (p. 71). Ulysse est « infortuné » selon Homère parce qu'il est calculateur (p. 73). Les imbéciles sont beaucoup plus heureux (p. 73). Plutôt que se faire des illusions sur la sagesse comme idéal antique de vérité, la Folie nous dit que la vérité sort de la bouche des enfants en reprenant le modèle chrétien, confirmé par l'idée que « la plus folle et la plus méprisable de toutes les classes humaines est celle des marchands » (p. 105), sur le modèle de Jésus chassant les marchands du Temple.

Misère intellectuelle

Le sort des intellectuels n'est pas enviable : « les théologiens meurent de faim, les physiciens se morfondent », même si les médecins et les juristes s'en sortent mieux, car ils sont des escrocs (pp. 68-69). Pour la Folie, les rois préfèrent leurs fous à la tristesse des sages (p. 74). Le fou est sincère tandis que le sage manifeste une certaine duplicité : « sa bouche souffle le froid et le chaud et ses discours sont bien souvent éloignés de sa pensée » (p. 76). Les études sont éprouvantes et hors de la vraie vie (p. 77).

Après avoir constaté la folie généralisée où chaque fou rit de la folie des autres fous tout à leurs passions : chasseurs, alchimistes, joueurs, conteurs (pp. 80-88), il semble bien en effet que la véritable cible d'Érasme concerne les clercs, intellectuels toujours religieux à l'époque. Il s'attaque aux superstitieux, ceux qui comptent sur les indulgences que « les prêtres autorisent et fomentent avec plaisir parce qu'ils savent bien le profit qu'ils en retirent » (p. 89). Il passe lestement sur les vaniteux divers, artistes, chauvins locaux, victimes de leur amour-propre (pp. 90-95), pour conclure que l'opinion vaut mieux que la vérité (p. 97). De toute façon, les sages sont rares et on leur préfère les joies de l'ivresse (p. 99).

Un passage conséquent concerne spécialement les limites du travail intellectuel austère : « l'orateur traite-t-il quelque matière sérieuse ? On s'ennuie, on bâille, on s'endort ; mais si [...] le prêcheur se met à débiter avec emphase quelque vieux conte de bonne femme, [...] on se réveille, on se redresse, on écoute, on est tout oeil tout oreille » (p. 96). Et il énumère toute la ménagerie académique de son époque (pour ne pas dire de tous les temps) : « commençons par les pédants qui enseignent la grammaire. C'est sans contredit l'espèce la plus misérable [...]. Malgré tout cela [...] ils se croient les premiers de tous les hommes [...du fait de] la grande idée qu'ils ont de leur érudition » (pp. 107-108). Il n'oublie pas les poètes et leur vanité, les orateurs et leur plaisanterie, les écrivains en mal d'immortalité alors que les plus frivoles ont du succès, les plagiaires (pp. 110-111), les jurisconsultes et leurs inutiles complications, les dialecticiens qui « se disputent et se querellent avec opiniâtreté pour les choses les plus vaines et les plus ridicules » (p. 115).

Érasme vise les philosophes, physiciens à l'époque, qui « ne savent absolument rien et ils se vantent de tout savoir. [...] Ils jettent les ténèbres sur les choses les plus claires et les rendent incompréhensibles aux ignorants qui les écoutent » (pp. 116-117). Mais il prétend ne pas cibler les théologiens : « il n'est pas prudent de toucher ce qui sent mauvais. Ce sont des gens qui n'entendent pas raillerie. Ils pourraient bien [...] me dénoncer partout comme hérétique » (pp. 118-119).

Érasme ne se fait aucune illusion sur les intellectuels, qui méprisent le peuple (p. 119) et dont les vaines subtilités et paradoxes théologiques et sémantiques (p. 129) prétendraient donner des leçons de christianisme aux apôtres (p. 121-123). Dans ce contexte des guerres de religion entre catholiques et protestants (et des protestants entre eux), on pourrait pourtant interpréter cette critique de la subtilité scolastique comme favorable à la position des réformateurs protestants, « seule l'Écriture » : traduisant la Bible et la considérant compréhensible par tous, ce qui sera rejeté par Rome. Un inconvénient postérieur de cette facilité protestante en sera l'antidarwinisme anglo-saxon (cf. Le Procès du singe).

Érasme s'attaque tout particulièrement aux ordres monastiques, dont il fait lui-même partie, visant les ordres mendiants : « ils vous assiègent et vous arrachent à force importunité des aumônes dont ils privent les vrais pauvres » (pp. 129-130), ou leur ritualisme tatillon (p. 130) : « quelle est donc cette nouvelle espèce de juifs » (p. 132) qui moque l'observance de nombreux interdits judaïques. Peut-être est-ce aussi un écho de la querelle médiévale entre les clercs réguliers et séculiers. Érasme révèle que les moines utilisent des allusions transparentes aux confessions dans les sermons publics (p. 134). On parle aujourd'hui du respect de la vie privée.

Mais sa cible réelle est sans doute l'incompétence intellectuelle, comme les raisonnements spécieux utilisant la grammaire pour parler de la trinité (p. 135) ou les délires étymologiques sur le nom de Jésus (p. 137). Érasme ne serait pas trop dépaysé aujourd'hui sur ce point. Il moque les trucs scolastiques minables : la tradition de l'exorde (introduction) sans lien avec le sujet comme norme rhétorique et utilisant des digressions si bien « que l'auditeur, plein d'étonnement et d'admiration, se demande à lui-même : 'mais où donc veut-il en venir ?' » et autres lourdeurs de constructions des discours (p. 138). Il critique aussi les théologiens abscons et tordant les textes (pp. 118-119), les moines vulgaires, manipulateurs, à la rhétorique fumeuse (pp. 129-142).

Avec tout cela, on se dit au final que le discours n'est pas du tout celui de la Folie, au point qu'Érasme lui-même est obligé de préciser au nom de son personnage : « mais il n'est pas question ici d'éplucher la vie des prélats et des prêtres. J'aurais l'air de faire la satire des autres plutôt que mon éloge » (p. 156). Habile truc rhétorique qui s'épargne de construire plus rigoureusement son monologue et qui rattrape le coup en douce. Est-ce ici un procédé académique d'alors ou est-ce aussi de sa part une simple pirouette de moine peu scrupuleux ?

Folie biblique

Après avoir dit qu'on évite les sages, qui ne le sont pas souvent, et que la littérature est pleine d'histoire de fous comme l'Iliade (pp. 158-159), la Folie qui nous parle s'avise que « comme toutes ces autorités profanes ne sont peut-être pas d'un grand poids pour des chrétiens, [...] j'établirai, si l'on veut, mon éloge sur le témoignage des saintes Écritures » (p. 160).

Suit la présentation des citations sur la folie dans la Bible. Au premier chapitre de l'Ecclésiaste : « le nombre de fous est infini » ; Jérémie : « tous les hommes sont devenus fous à force de sagesse » ; Salomon nous dit que « la folie est pour le fou une source de joie » ou « la tristesse loge dans le coeur des sages, et la joie dans le coeur des fous » et aussi : « je suis le plus fou de tous les hommes », tout comme saint Paul « je parle en fou et je le suis plus que quiconque » (pp. 161-164). Parodiant habilement les débats théologiques, la Folie évoque Érasme lui-même pour admettre qu'il s'agit d'une interprétation cavalière de saint Paul, qui lui-même s'appropriait une inscription grecque christianisée par lui (pp. 165-167).

D'autres extraits de la Bible suivent. Paul disant : « recevez-moi comme un fou » (p. 172) « la folie de Dieu [...] vaut mieux que la sagesse des hommes », « Dieu choisit dans le monde ce qu'il y a de fou » (p. 174) ; « Jésus-Christ [...] parlant à son père : Tu connais ma folie » (p. 173) et le Messie condamne les philosophes : « Jésus se déchaîne sans cesse contre les scribes, les pharisiens et les docteurs de la loi » (p. 174) ; « Jésus-Christ, quoiqu'il soit la sagesse du père, s'est fait en quelque sorte fou pour guérir la folie des hommes, puisqu'il s'est uni à la nature humaine » (p. 175). Tandis que la Bible valorise l'innocence et considère la science comme pernicieuse (p. 176) ; « n'est-ce pas aussi pour la même raison que le souverain Créateur défendit aux premiers parents de goûter du fruit de l'arbre de la science, prévoyant que cette science fatale empoisonnerait un jour tant leur bonheur » (p. 176) ; d'où l'irresponsabilité pénale pour les fous : « on remet tous les jours des fautes qu'on ne pardonnerait pas à un sage » (p. 177) et une morale de l'ignorance : « pardonnez-leur parce qu'ils ne savent pas ce qu'ils font » (idem). La Folie considère en fin de compte que tout le christianisme relève de son empire : « ne remarquerez-vous pas que les enfants, les femmes et les imbéciles trouvent bien plus de plaisir que les autres aux cérémonies de la religion » (p. 178).

Docte ignorance ?

Partant de la folie qu'est l'oubli de soi sacrificiel des chrétiens : « ils paraissent tellement avoir renoncé à toute espèce de sens commun, qu'on croirait volontiers que leurs âmes existent hors de leur corps » (p. 179), on assiste alors à une sorte de consécration ultime. On pourrait y voir une contradiction s'il ne s'agissait pas effectivement d'un éloge de la folie. Car en fin de compte, Érasme semble bien réunir la religion et la philosophie, sous le patronage de Platon qui se préoccupe de l'être pour la mort plutôt que pour la vie (p. 179). Érasme avait paru pourtant anticiper l'âme machine de La Mettrie quand il avait dit que « toutes les facultés de l'âme dépendent des organes du corps » (p. 182). Mais Dame Folie semble justifier la négation du corps comme soin de l'âme seule : « un homme n'est-il pas fou lorsque son esprit, s'élevant au-dessus de la matière, semble sortir de son corps pour aller battre la campagne » (p. 185).

Si Érasme oppose les mondains et les pieux dévots (pp. 183-185) dans leur approche de la condition humaine : « parmi les passions, il y en a aussi qui sont pour ainsi dire tout à fait corporelles, telles que l'amour, la faim, la soif, le sommeil, la colère, l'orgueil, l'envie. Les dévots leur font une guerre continuelle ; les mondains croient au contraire qu'on ne pourrait vivre sans elles. » Érasme semble considérer que les dévots (illuminés par la grâce ?) n'aiment que Dieu « et s'il y a quelques objets visibles qu'ils ne méprisent pas tout à fait, ils les croient du moins bien au-dessous des choses spirituelles et invisibles » (p. 183).

Contre les théologiens subtils, Érasme semble bien se rallier à Nicolas de Cuse qui parlait de Docte ignorance (1440) au siècle précédent et prônait déjà la paix universelle entre toutes les croyances du monde (juste avant les guerres de religion). Sur le sujet, Kamen (dont j'ai résumé le livre) indique qu'Érasme adhérait aussi au second point sur la paix. On voit ici qu'il adopte aussi l'idée centrale de cette docte ignorance, correspondant à une sorte de version chrétienne de l'innéisme platonicien. Érasme prend peut-être un peu trop au mot le titre du livre de Nicolas de Cuse. Il prêche classiquement pour un détachement de monde matériel et savant en revendiquant la folie exaltée et bipolaire des illuminés : « tantôt vifs et gais, tantôt tristes et abattus, ils pleurent, ils rient, ils soupirent d'un moment à l'autre ; en un mot, ils sont tout à fait hors d'eux-mêmes. Revenus à eux, ils ne savent plus d'où ils viennent, ils ignorent s'ils étaient ou s'ils n'étaient pas dans leur corps, s'ils veillaient ou s'ils dormaient [etc.] » (p. 187). Il voit dans leur état un « avant-goût de la félicité éternelle » (p. 188).

Conclusion

Contrairement à Philippe Farget dans sa postface (p. 196), je ne dirai pas qu'Érasme a complètement échoué. Il faudrait plutôt considérer que les intellectuels ne doivent pas croire qu'ils sont tout-puissants contre l'ordre du monde. On le savait. En fait, chacun appartient à un courant qui n'annule pas l'existence des autres courants, comme ils le souhaiteraient, d'où les controverses. Si Érasme n'a pas réussi à convaincre ses contemporains, sa réputation a persisté, au prix d'un contresens : il a incarné la Renaissance et la tolérance religieuse.

Ce livre a peut-être été mal compris par la postérité du fait d'une interprétation incluant toute la biographie de son auteur. Le propos spécifique de l'Éloge de la folie consiste surtout dans une classique leçon de morale contre la vanité humaine en général, mais il vise surtout celle des clercs de la scolastique classique. C'est d'ailleurs bien ce que les autorités ont compris pour avoir condamné Érasme, après son décès - heureusement pour lui : « en 1542, six ans après sa mort, [...Érasme] est décrété par les théologiens de la Sorbonne : 'fol, insensé, injurieux à Dieu, à Jésus-Christ, à la Vierge, aux Saints, aux ordonnances de l'Église, aux cérémonies ecclésiastiques, aux théologiens, aux ordres mendiants » (pp. 192-192). Les contemporains savent en général de quoi il retourne.

La position d'Érasme est plutôt celle d'un moine honnête, qui connaît la réalité des joies et des souffrances humaines, mais qui propose bien une solution spirituelle chrétienne d'oubli de soi contre les vaines subtilités et les controverses scolastiques érudites. Le paradoxe est plutôt qu'il choisit une forme littéraire qui utilise les références antiques érudites, mais Érasme considère bien qu'elles ne sont pas contradictoires avec le christianisme. Pour masquer les approximations rhétoriques, et tenter de distraire l'attention, il prend bien soin de préciser : « souvenez-vous que c'est une femme qui vient de vous parler. Mais rappelez-vous aussi ce proverbe grec : un fou dit quelquefois de bonnes choses - à moins pourtant que vous ne pensiez que les femmes font une exception à cette règle générale » (p. 188).

Effectivement, force et faiblesse de l'ironie comme dirait Jankélévitch, plaisanter n'est pas très efficace, même si ça marche pour établir une réputation. Érasme n'a pas plus réussi à convaincre les clercs de son temps qu'il n'a diffusé une illusoire innocence chrétienne ou philosophique. Son érudition a plutôt justifié la subtilité rhétorique contournée de la littérature romantique.

Ses lecteurs académiques ont pu constater qu'il invoque Platon et non Aristote. La Renaissance est bien une réaction traditionaliste de l'éducation néoplatonicienne antérieure contre la nouveauté aristotélicienne qui a tant perturbé le Moyen-Âge tardif. La particularité érasmienne de ce petit livre concerne le choix de la littérature mythologique. Ce sera d'ailleurs aussi la solution romantique ou heideggérienne plus récente pour résister à la science.

Tout à la critique des faussaires et des ambitieux qui pullulent parmi les clercs par simple incompétence, Érasme a idéalisé l'ignorance candide plutôt que l'intégrité intellectuelle méthodique. Les débats scolastiques étaient trop confus. Mais il n'a pas voulu y mettre de l'ordre et il semble refuser qu'on soit trop regardant sur ses contradictions en concluant : « je hais un auditeur qui se souvient de tout » (pp. 188-189), alors même qu'il ébauchait pourtant une correction de la pédagogie dans les critiques spécifiques des errements des clercs de son temps. L'erreur de la théologie et de sa servante philosophique est sans doute de vouloir une synthèse globale. Cela aboutit finalement à une panacée littéraire et mystique dérisoire. Le discours de la méthode viendra plus tard.

Jacques Bolo

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