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Société - Mars 2014

Préférence nationale suisse

Résumé

Les Suisses ont voté contre l'immigration de masse en provenance de l'Europe et du monde. Encore une gated community

Le résultat du référendum suisse du 9 février 2014 sur la limitation de « l'immigration de masse » a surpris l'Union européenne. Les travailleurs frontaliers européens, qui bénéficient de l'accord de libre circulation entre les citoyens suisses et ceux de l'UE, se sentent visés par ce scrutin, alors qu'ils se croyaient parfaitement intégrés. Les représentants européens ont averti la Suisse que cela remet en question tous les traités et qu'il y aura des conséquences. On verra.

Les partisans du FN, les souverainistes et autres adversaires de l'Union européenne se sont réjouis de cette instauration d'une préférence nationale. L'étonnement des autres politiciens dévoile une erreur d'analyse et la naïveté de croire que leur majorité est garantie. Le populisme est bien, avant tout, un clientélisme qui veut instaurer des privilèges.

J'ai déjà parlé du fait que la nationalité est déjà un moyen de limiter les droits de certains. Cela correspond à ce que j'ai appelé la monégasquisation (« stade Dubaï du capitalisme »), qui enferme les riches dans des « gated communities » qui laissent les pauvres dehors. La Suisse en était déjà un exemple connu.

Mais ce vote recèle un enseignement original qui permet d'affiner la théorie. La préférence nationale suisse montre d'abord que les frontaliers européens (dont les Français) sont les pauvres des pays plus riches. C'est une banalité, mais il est bon de le préciser pour ceux qui s'opposent de façon imbécile au relativisme. Il faut aussi rappeler que le contraire du relativisme est le dogmatisme (ou l'ethnocentrisme pour les questions nationales).

Ce scrutin spécifique confirme aussi que ce sont bien les pauvres des pays les plus riches qui veulent exclure des droits qu'ils ont de plus pauvres qu'eux. Les frontaliers peuvent quand même être plus riches que les pauvres suisses, puisqu'ils bénéficient d'un salaire du double de celui de France où les prix sont environ deux fois moins chers. Ce n'est pas le cas des immigrés résidents, qu'il s'agisse de la Suisse ou de ceux de l'Union européenne.

Comme la Suisse a effectivement besoin de ces travailleurs pour son industrie, il s'agit bien d'un refus strict de concurrence. Outre le racisme chez certains, les Suisses qui ont voté contre l'immigration considèrent plutôt que les emplois doivent leur être réservés. Ce n'est pas forcément très malin. Comme les salaires sont déjà très élevés, une pénurie de main-d'oeuvre ferait monter encore le coût du travail et les entreprises risqueraient de perdre des marchés extérieurs, tandis que les prix locaux augmenteraient encore. Une solution serait d'entrer dans l'Union européenne pour faire baisser les prix à la consommation. Outre le refus de participer à l'aide des pays pauvres de l'UE, on imagine que ce sont les commerçants qui résistent, et les producteurs locaux qui seraient concurrencés par les producteurs européens. Avec le protectionniste, on perd d'un côté ce qu'on gagne de l'autre. C'est ça, un État.

On peut supposer réciproquement que ceux qui n'ont pas voté la limitation de l'immigration, outre les motifs idéologiques d'ouverture, sont ceux qui peuvent bénéficier du coût de la main-d'oeuvre immigrée ou de l'effet de sa concurrence. C'est l'argument contre les bobos mondialistes des souverainistes français de gauche et de droite (FN, Soral, gauche populaire...). Ils ont bien assimilé l'argument marxiste de l'intérêt économique derrière les grands principes. Il en découle une sorte de théorie du complot. Mais il est contradictoire de dire que les bobos sont naïfs et retors à la fois. Il suffit d'admettre que les classes moyennes recherchent simplement des prix plus bas, comme tout le monde, en profitant de l'internationalisation.

Mais ceux qui veulent la limitation de l'immigration et le protectionnisme achètent aussi les biens produits par les immigrés ou en provenance de l'étranger. La Suisse est d'ailleurs un petit pays enclavé et montagneux qui ne produit pas tout ce qu'elle consomme. D'où la nécessité d'accords internationaux. En principe, c'est moins vrai pour la France, mais la production est très internationalisée actuellement. Une des raisons en est la nécessité des économies d'échelle. Relocaliser des productions en petites séries ramènerait la productivité à celle du milieu du 20e siècle et exclurait des débouchés internationaux ceux qui pratiqueraient ce protectionnisme, sauf pour les produits de luxe, réservés à certains.

Évidemment, ceux qui ont voté la limitation de l'immigration pensent simplement bénéficier du fait que la Suisse est un pays riche. Concrètement, cela signifie qu'un employé de palace est mieux payé qu'un employé d'hôtel d'une ou deux étoiles. Mais tout coûte plus cher dans les quartiers riches. La concentration de grandes fortunes en Suisse explique le coût de la vie élevé. La balance devait donc être favorable jusqu'à maintenant, mais ça pourrait changer. Le modèle parasitaire suisse est en danger. La fraude fiscale est en train d'être combattue par les autres états, à commencer par les États-Unis.

Au final, la fermeture des frontières ne fait que limiter le modèle économique à une zone particulière. Elle n'abolit pas la différence entre riches et pauvres. Ceux qui ramassaient les miettes croient simplement qu'elles étaient garanties. Au contraire, le procédé de monégasquisation en tant que tel peut se généraliser, comme c'est la tendance : les riches s'enferment dans leurs ghettos de riches et les pauvres sont considérés comme des étrangers. On en est là.

Jacques Bolo

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