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Économie - Avril 2011

Solution inattendue à la crise islandaise

Le 9 avril 2011, les Islandais ont encore voté à 58,9 % contre le remboursement de la dette envers les clients étrangers de la banque islandaise Icesave, qui proposait des taux de 6 % aux épargnants anglais ou hollandais. Les Islandais avaient déjà voté contre à 93 % en mars 2010. Les épargnants étrangers avaient été indemnisés par leur gouvernement (du fait des garanties de leurs dépôts), et c'est donc la Hollande et le Royaume-Uni qui demandaient le remboursement.

Ce refus a généralement été assez bien perçu sur Internet, en France, au nom de la révolte contre le capitalisme, les banques, l'Europe, le fait de revoter. L'argument classique consiste à refuser de « privatiser les gains et mutualiser les pertes » ou celui de la responsabilité à assumer par les banquiers ou les épargnants eux-mêmes. On peut cependant remarquer que toute la question se réduit à savoir si ce sont les contribuables islandais ou les contribuables anglais et hollandais qui vont devoir payer.

Les anticapitalistes insinuent que les libéraux sont en contradiction avec leur idéologie en refusant d'assumer les risques. On peut faire remarquer aux collectivistes qu'ils sont aussi en contradiction en prônant la responsabilité individuelle et le chacun-pour-soi quand ça les arrange. Quand ils remarquent que l'idéologie libérale est manipulatrice et de mauvaise foi, ils fournissent la réponse à la question : il ne s'agissait pas de libéralisme, mais de manipulation. Les escroqueries sont assez fréquentes dès qu'il s'agit de spolier des épargnants.

Nous voyons que la manipulation est partagée par le camp adverse. Toute la question se réduit donc à une question de cohérence au niveau du système, ou une question d'inconséquence et de sincérité. C'est un fait que certains utilisent tous les arguments et leurs contraires pour ne pas assumer leur responsabilité au moment de payer la note. On peut aussi remarquer que 41 % des Islandais ont voté pour le remboursement. Il serait intéressant d'avoir plus d'informations à leur égard. On peut imaginer qu'ils ont été convaincus par la nécessité de rester dans le système financier international ou celle d'entrer dans l'Union européenne. Ils peuvent aussi se sentir un peu responsables de ce qui leur est arrivé, et l'être éventuellement.

Il me semble en effet que la question n'est pas de nationaliser les pertes alors qu'on aurait privatisé les profits. La véritable question est : qui a profité de cet argent ? N'existe-t-il pas de traçabilité ? Sur la responsabilité du peuple islandais, il est bien évident que « tout le monde » n'est pas responsable personnellement. Mais il est absolument certain que de nombreux Islandais en ont profité, au moins indirectement, en tant que salariés de ces banques, par exemple, ou les vendeurs de 4x4.

Quand on vend un produit de luxe à un mafioso, on n'est pas dans la mafia. On n'est pas forcément au courant qu'il s'agit d'argent sale. Mais on empoche quand même. Il s'agit bien ici aussi d'une privatisation des profits. Ce n'était pas le collectivisme en Islande que je sache, ni en France, ni partout ailleurs. Pour info à l'intention des collectivistes, la moyenne des revenus mondiaux se situe au niveau du RSA. Les bonus des traders qui ont participé au système ne sont pas seuls en cause. Il est absolument certain que l'idéologie locale, quand ça marchait bien, était au « libéralisme », par exemple en considérant les autres comme des fainéants ou des assistés. Et maintenant, les Islandais se découvriraient socialistes et démocrates ?

Ce qui est étonnant est plutôt que les anticapitalistes des autres pays les soutiennent. Cela correspond à une vision selon laquelle les capitalistes ne feraient pas partie du peuple. En l'occurrence, ici, ils ne seraient pas islandais. Une expression comme « capitalisme international » semble être comprise comme une entité allogène sans attache locale. On régresse à l'imaginaire antisémite du début du XXe siècle (avec DSK au FMI selon les discours maurrassiens récents du député UMP Christian Jacob). J'avais déjà parlé de « néo-maurrassisme actuel comme incompétence ». Ou à la rigueur (sans distinction d'origine), on généralise à une sorte de théorie du complot international, avec des complices locaux, souvent implicite dans la critique du capitalisme.

Ma conception est plus interactionniste. Il me paraît plus raisonnable de considérer qu'il existe une responsabilité plus diffuse, collective donc. Les Islandais avaient au moins laissé faire tant que ça marchait. Si le vote démocratique est fondateur, les votes précédents, qui avaient porté au pouvoir ceux qui avaient mis le système en place, l'étaient aussi. Ceux qui refusent, plus légitimement, cette responsabilité parce qu'ils n'avaient pas voté pour ce système doivent en tirer la conséquence qu'ils refusent en fait le système majoritaire et sont donc favorables à un système encore plus libéral, non étatique, où l'on n'est pas engagé par la collectivité. C'est un résultat non trivial de la crise islandaise.

Jacques Bolo

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