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Économie 4.6.2005

Augmentez les patrons !

Depuis déjà quelques temps, les supers revenus des patrons provoquent le scandale. On pourrait s'en étonner car les différences de fortune ne datent vraiment pas d'hier. Tout au plus est-ce sans doute la conséquence d'une plus grande transparence en la matière. De plus, si les actionnaires veulent se priver de dividendes, ça les regarde. Peut-être les administrateurs achètent-ils la discrétion des dirigeants vis-à-vis des petits actionnaires et des administrations ?

La question de l'illégitimité de ces rémunérations, primes, parachutes dorés, stock options, etc., semble paradoxalement remettre en cause la possibilité de s'enrichir par le travail. Travail de dirigeant, il ne faut pas rêver non plus, mais qui s'oppose quand même à la seule légitimité de l'héritage. En effet, contrairement à la vision marxiste classique sur les salaires, le travail ne caractérise pas seulement les ouvriers, mais aussi les cadres et la direction. Notons qu'à l'époque de Marx, les dirigeants étaient plus généralement les propriétaires, d'où sa solution de propriété sociale des moyens de production, qui peut tout aussi bien être généralisée dans l'actionnariat populaire. Mais l'illégitimité des fortes rémunérations vise tout particulièrement les dirigeants non propriétaires. La contestation de ces rémunérations souvent justifiée par le fait que l'entreprise a été laissée dans un état déplorable, renforce aussi une sorte d'idée de location, de fermage, qui confirme cette identification direction/propriétaire.

Le paradoxe du comédien super bien payé

Cette négation du revenu du travail assimilé à celui du capital vise tout spécialement l'entreprise, car comme on l'a déjà souvent remarqué, les revenus des stars du spectacle ou du sport sont moins contestés. Leurs mérites sont sans doutes perçus comme plus individuels, même si ces vedettes passent leur temps à remercier toute l'équipe, à qui elles doivent tout, et qui touche beaucoup moins qu'elles (d'où les remerciements). Il semble que dans ces secteurs culturels, le partage très inégalitaire de la valeur ajoutée ne soit pas contesté. Alors qu'une solution au problème des intermittents résiderait précisément dans une meilleure répartition, qui exprimerait mieux la solidarité que les grandes déclarations (qui ne coûtent rien).

Si les super-salaires prétendent se fonder sur les qualités des dirigeants – outre le fait que les cimetières sont remplis de personnes qui se croyaient irremplaçables – la question de la répartition entre les participants à la création de richesses persiste (comme pour les comédiens d'un film). Aujourd'hui, les grands patrons ou les vedettes semblent vouloir porter seuls le succès des entreprises – sans en assumer les échecs. Il semble même qu'il se développe un discours selon lequel quand ça va mal, c'est la faute des employés, de l'État, de la conjoncture, mais jamais de la direction. En cas de départ forcé, l'échec est précisément compensé par ces indemnités astronomiques qui annulent la valeur de sanction (à moins de considérer très chrétiennement l'argent comme une malédiction).

Contre productivité

Ces rémunérations excessives peuvent même être considérées comme contre-productives. Car elles offrent théoriquement la possibilité à un dirigeant de se retirer des affaires, en privant l'entreprise de qualités si fortement estimées. C'est effectivement le cas pour quelques rares jeunes rentiers. Heureusement, pour la plupart des dirigeants et artistes, la cupidité et le goût du pouvoir les retiennent à leur poste, à moins que ce soit la nécessité de payer l'impôt sur la fortune pour les imprévoyants (phénomène fréquent dans le monde du spectacle). Ce qui est une utilité inattendue pour un tel impôt si décrié. Le goût indéniable des responsabilités et du travail peut-il être considéré comme la seule raison, quand les employés ne seraient motivés que par le risque de chômage qui modère leurs exigences. Prétendre que seule une forte rémunération retient les cadres et dirigeants, insinue sournoisement un doute en ce qui concerne la valeur travail (voir Pour en finir avec...).

Cette exagération salariale est évidemment absurde. Elle semble fondée sur le seul principe publicitaire pour montrer que l'entreprise peut se permettre de payer une telle somme. En 1976, Barbara Walter obtint un contrat de 6 millions de dollars (sur 5 ans) de la chaîne ABC qui déclencha immédiatement un succès de curiosité qui augmenta son audience (cf. Léo Sauvage, Les Américains, p. 163). Et il en résulte ensuite une surenchère entre les entreprises, qui s'alignent sur les montants les plus élevés, puis une surenchère généralisée qui suit la voie hiérarchique. L'inflation devrait en découler. D'un point de vue économique général, il n'est pas possible d'affirmer que seule l'augmentation des bas salaires est inflationniste. On peut constater les effets de cette inflation spécialement sur les biens patrimoniaux (et de luxe). En 1990, on pouvait acheter un bien immobilier de qualité pour quelques millions de francs, en 2005 on l'obtient pour quelques millions d'euros. Ce n'est évidemment pas lié à l'euro, mais au fait que les acheteurs peuvent le payer grâce à ces salaires. Ont-ils l'impression de bénéficier d'une augmentation de leur pouvoir d'achat quand ils obtiennent exactement les mêmes prestations ?

Figaro-ci, Figaro-là

Les conséquences de ces écarts excessifs provoquent en fin de compte seulement une plus grande difficulté pour les bas salaires, ou les chômeurs, et une impression généralisée de l'instauration d'une société très inégalitaire entre la masse et les beautiful people. On peut même considérer qu'il s'agit de la reconstitution d'une aristocratie, dont le seul mérite est de n'être pas limitée à la naissance. Ce qui lui vaut la complicité de Figaro cette fois-ci, lui qui disait : « Parce que vous êtes un grand Seigneur, vous vous croyez un grand génie !... Noblesse, fortune, un rang, des places : tout cela rend si fier ! Qu'avez-vous fait pour tant de biens ! Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus... ». Las, le mérite des stars n'est souvent issu que d'un monopole de fait ou d'un plan média. Et leur salaire, comme celui de Coluche, peut servir de justification à celui d'un PDG auprès de ses syndicalistes, qui ont marché. Bien joué l'artiste !

J.B.

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