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Méthodologie / Démographie - Décembre 2010

« Le dessous des cartes » démographiques

Je ne sais pas si c'est à cause de Noël, mais la fin d'année doit être propice aux natalistes. L'année dernière, à la même époque, un article du Monde de Frédéric Lemaître, semblait stigmatiser « La tentation du retour au malthusianisme » (voir mon article « Malthus un jour, Malthus toujours »). Cette année, c'est Jean-Christophe Victor, de l'émission « Le dessous des cartes » sur Arte, qui « se propose de démonter l'argument [de la cause démographique à la pauvreté] en s'appuyant sur la réalité plutôt que sur les inquiétudes qui, en fait, ne sont pas fondées ». Ben pardi ! Il va nous faire le coup de la remise en cause des idées reçues qui a fait la joie des intellectuels des années 1960-1980 !

Bizarrement, J.-C. Victor commence par argumenter que la malnutrition sera en diminution en 2015 et en 2030. En voilà une preuve qu'elle est bonne quand on se revendique de la réalité ! C'est bien un biais d'intellectuels de confondre les théories avec les vérifications empiriques. Nous nous prenons brusquement à douter des informations qu'il nous délivre régulièrement avec ce ton professoral péremptoire qui fait tout son charme. Cette idée de révéler « le dessous des cartes » aurait dû nous mettre la puce à l'oreille.

Et d'ailleurs, selon notre prévisionniste, la cause de la malnutrition réside dans la politique et l'économie (guerres, distribution, spéculation). Cette explication est devenue le nouveau lieu commun. Il faut donc en conclure que l'économie et la politique iront mieux en 2015 et 2030. Et, selon lui, dans d'éventuelles guerres de l'eau, la démographie n'a « aucun rapport » non plus, pour les mêmes raisons. La population peut donc doubler, tripler, quadrupler, quintupler. No problemo ! Et si elle était divisée par deux, trois, etc., ça ne changerait donc rien non plus ? Bref, la consommation d'eau n'a pas de rapport avec le nombre de consommateurs.

J.-C. Victor a trouvé l'explication du problème. C'est le thème à la mode de « l'empreinte écologique ». Et le voilà qui présente le bilan de la consommation des ressources de la planète selon laquelle on consomme actuellement les ressources d'une planète et demie par an. Faut-il donc en conclure que si on était deux fois plus nombreux, ça irait mieux ? Il me semble au contraire que : soit on serait globalement deux fois plus pauvres ; soit on consommerait les ressources annuelles de trois planètes !

J.-C. Victor en vient donc à analyser la question du risque alimentaire comme le seul résultat de la différence entre les pays à hauts ou moyens revenus, qui consomment trop, et les pays à bas revenus, qui ne consomment pas plus malgré la croissance de leur population. Il indique que la croissance de la population et de la consommation de ressources dans ces pays a progressé comme suit entre 1961 et 2005 :

Pays Hauts revenus Moyens revenus Bas revenus
Croissance population 44% 104% 172%
Croissance consommation 156% 150% 110%

Outre que les chiffres de la consommation de ressources n'étaient certainement pas fiables dans les années soixante dans certains pays sous-développés, il croit avoir démontré que ce n'est donc pas la croissance de la population qui induit la plus forte augmentation de ressources, mais la seule différence entre les riches et les pauvres. On se demande si ce n'est pas une adaptation du schéma marxiste paré de statistiques et d'écologie.

Il pourrait au contraire en conclure que la plus forte augmentation de la population a induit un retard de développement. Il est d'ailleurs probable que ce qui a augmenté dans les pays à bas revenus, c'est l'écart interne entre les riches ou les classes moyennes (qui consomment autant que ceux des pays à haut revenus) et les pauvres qui continuent bien à faire trop d'enfants (d'où une misère encore plus grande). Ou il pourrait considérer que les pays à faibles revenus bénéficient de l'augmentation de la productivité due aux techniques modernes. On connaît le cas de la Chine en train de remplacer des techniques énergétiquement coûteuses par des techniques plus modernes (quoique très progressivement) ou tout simplement la plus grande efficience productive du développement des villes modernes (avec la réserve précédente de la fiabilité des chiffres antérieurs – et actuels, d'ailleurs).

Mais, pourquoi s'obséder à nier si absolument le facteur démographique jusqu'au ridicule ! Même la fameuse croissance économique allemande pourrait avoir aussi pour explication la décroissance de la population. La mesure de la richesse est toujours liée à la productivité qui d'augmente par habitant. Une diminution de la population produit donc automatiquement de la croissance par tête à PIB global égal et à plus forte raison supérieur. La traditionnelle idéologie nataliste française qui se réjouit que la population française dépasse celle de l'Allemagne dans les prochaines décennies pourrait être une grosse bêtise.

Le rejet de l'immigration lui-même est bien lié à l'augmentation de la population par la concurrence qu'elle induit dans les classes pauvres des sociétés riches, équivalente à une augmentation démographique dans ce segment précis [1]. Et le chômage chez les immigrés, jeunes surtout, peut être interprété comme directement lié à la démographie supérieure dans ces mêmes populations pauvres très concentrées et ethnicisées. Quand il y a deux fois plus de chômage dans « les quartiers » (comprendre « les ghettos ») et que la natalité y est quatre fois plus forte (ou plus), il est difficile de considérer que la démographie n'est pas non plus en cause. D'autant que cela correspond exactement à une enclave de pays de Tiers-monde  [2] dans les pays riches.

La bonne nouvelle est d'ailleurs que le racisme peut être considéré comme moins important que prévu. Si dans une famille de six enfants, la moitié est au chômage, la moitié a bien été absorbée sans problèmes. Le racisme devient simplement le discours de ceux qui analysent la question de façon orientée, intentionnellement ou par incompétence. Comme j'avais noté cette incompétence chez des gens en principe bien intentionnés (voir « Le Maurassisme actuel... »), et que je pense la relever encore ici à propos de la démographie, cela me paraît une forme de confirmation. Le racisme et l'antiracisme expliquent les discours, mais pas le phénomène. On constate que la démographie peut l'expliquer.

Ainsi, croire avoir doctement démontré l'erreur d'esprits inspirés par des « inquiétudes infondées », en proposant un raisonnement aussi manifestement biaisé par le traditionnel tabou nataliste français, et la dernière mode écologique pour faire passer la sauce, me paraît caractéristique de l'imposture académique. On pense aux économistes qui nous expliquent pendant les crises pourquoi ils se sont trompés auparavant. C'est aussi à se demander si Jean-Christophe Victor n'est pas un agent infiltré du Vatican !

Jacques Bolo

Bibliographie

Livres de Jean-Christophe Victor

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Voir aussi :

Notes

1. Plus exactement, la concurrence a lieu parce que les immigrés sont mieux intégrés et ne se contentent plus des seuls postes inférieurs dont se contentaient leurs parents. Dire le contraire revient à leur refuser l'intégration, en refusant la concurrence (« libre et non faussée »), comme on l'a vu pour le plombier polonais. [Retour]

2. J'ai une préférence pour la conservation de cette terminologie – pour de raisons démographiques donc –, comme bon indicateur de mutation vers le développement.  [Retour]

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