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Sociologie - Février 2013

Périurbain généralisé : l'exemple de Nîmes

Résumé

Les villes de province n'existent pas. À l'inachèvement a succédé l'étalement, après l'intermède discrédité des grands ensembles.

Le mois dernier, dans l'article « Sociologie Google Maps® du périurbain », j'avais constaté l'importance des nouveaux lotissements ayant fait passer le village de Poulx (Gard) d'une centaine d'habitants à quatre mille. Par curiosité, j'ai regardé la ville de Nîmes, dont Poulx est la nouvelle banlieue pavillonnaire. J'y savais le phénomène déjà présent, et j'ai pu constater qu'il s'y était encore développé.

Mais si on observe bien, cette tendance est ancienne. En vérifiant, toujours grâce à Google Maps®, j'ai pu constater que l'urbanisation proprement dite n'était pas aussi développée que je le pensais. Le « périurbain » est en fait le modèle « urbain » général, depuis longtemps. Et on peut confirmer ce même phénomène dans les autres villes de province.

Quelle urbanisation ?

La ville de Nîmes est une ville ancienne, qui date de la période romaine. Au début de l'ère commune, elle avait déjà une trentaine de milliers d'habitants. Il en reste les fameuses Arènes et de nombreux autres monuments romains (Maison carrée, Tour Magne, Temple de Diane, Porte Auguste, Porte de France, Castellum divisorium). Au Moyen-Âge, la population s'était réduite à quelques centaines d'habitants qui s'étaient installés dans les Arènes, comme protection. La ville s'est développée lentement au cours des siècles et n'a retrouvé une population équivalente à celle de l'époque romaine qu'au XVIIIe siècle.

Les deux principaux monuments romains de Nîmes

Arènes de Nîmes (© Jacques Bolo)

Maison carrée (© Jacques Bolo)

La ville moderne est agencée selon une série de développements concentriques, dans la plaine autour du petit centre-ville (« écusson ») et sur les collines qui bordent l'arc nord-ouest. Comme toujours, pour les villes romaines, d'aucuns veulent voir sept collines, comme à Rome, mais c'est complètement artificiel. La ville romaine comprenait les collines et s'arrêtait aux arènes. La ville moderne, en forme de triangle isocèle sur la partie plane, s'est étendue ensuite vers le sud par étapes, délimitées par trois frontières rectilignes est-ouest : la voie du chemin de fer, le périphérique et l'autoroute.

On peut distinguer plus ou moins chronologiquement six ou sept étapes d'urbanisations :

  1. Les immeubles à étages anciens du centre-ville.
  2. Une première ceinture en triangle, souvent constituée de « maisons de ville » et de quelques immeubles, avant la ligne ferroviaire.
  3. Un arc de villas sur les collines au nord-ouest.
  4. Une bande pavillonnaire au sud, entre la ligne de chemin de fer et le périphérique.
  5. Une grande ZUP à l'ouest (avec une zone industrielle) et une plus petite à l'est (avec deux extensions).
  6. Une deuxième bande pavillonnaire au sud entre le périphérique et l'autoroute
  7. et une extension des villas sur les collines sur l'arc nord-ouest.


© les contributeurs d’OpenStreetMap

Le centre-ville urbain

Seul l'intérieur du petit centre-ville et quelques pâtés de maisons à l'extérieur sont constitués d'immeubles anciens, pas très hauts, dans des rues un peu trop étroites. Ce qui permet de marcher à l'ombre en été (on sent la différence avec les rues plus larges ou les maisons plus basses). Une partie du centre est devenu piétonnier depuis une trentaine d'années. L'augmentation du nombre d'automobiles rendait pénible la circulation dans les ruelles.



C'est un urbanisme un peu archaïque, très tassé, qu'on peut supposer médiéval, même si les bâtiments sont sans doute plus tardifs, avec quelques hôtels particuliers (XVIe-XIXe). Dans le quartier de la cathédrale, il reste quelques fenêtres à meneaux qui indiquent l'origine ancienne (renaissance) comme les escaliers particulièrement étroits de certains immeubles. Une architecture spécifique assez fréquente montre aussi une structure verticale avec une terrasse couverte au dernier étage (pour étendre le linge ?) ou d'autres comportent, de façon standard, un dernier étage avec de petites fenêtres, comme on peut le voir près de la cathédrale.


Fenêtres à meneaux & cathédrale (© JB)

Maison typique (© Jacques Bolo)

Urbanisation inachevée du centre

La première ceinture triangulaire autour du centre-ville (zone 2), sur quelques centaines de mètres, un kilomètre ou guère plus, et jusqu'à la voie de chemin de fer. Elle est le plus souvent constituée de maisons individuelles à un étage ou deux, parfois avec un jardin, caché par de hauts murs ou derrière une façade sur rue. Les rues sont généralement étroites et la circulation ou le stationnement ne sont pas très aisés. À la réflexion, on se dit que le modèle est plutôt celui d'un gros village. La majorité de la zone n'a pas trop changé d'aspect depuis les années soixante.



Dans cette zone 2, quelques immeubles plus élevés ont été construits dans les années 50-70, à proximité immédiate du centre, où ils tranchent souvent avec leur environnement. Quelques quartiers sont en cours de rénovation plus récemment. L'ancienne prison a été remplacée par une université, à proximité immédiate du centre.





Une des raisons de ce blocage de la construction de nouveaux bâtiments d'habitation spécifique à la ville de Nîmes pourrait être la quasi-certitude de trouver des vestiges gallo-romains dès qu'on creuse un trou dans le sol. Les promoteurs seraient ruinés par les interruptions des travaux. Je crois me souvenir que cette obstruction avait eu lieu, dans les années 60-70, pour un nouveau pâté d'immeubles de la rue Rouget de l'Isle. Les travaux se situaient justement à côté de l'ancienne arrivée d'eau romaine en provenance du Pont du Gard, le Castellum Divisorium (pas très spectaculaire), proximité qui supposait à l'évidence d'autres vestiges d'époque.


Rue Rouget de L'Isle

Castellum Divisorium

Dans un article précédent (« Les voeux pieux de Nicolas Sarkozy »), j'avais critiqué la diminution des crédits de l'archéologie préventive. Il est bien évident qu'il faut augmenter le nombre des équipes pour être prêt à exploiter les qualités des sous-sols des villes de ces régions, et ne pas risquer des pertes irréparables, par négligence ou par précipitation. Et il ne faut pas non plus que les fouilles s'éternisent sous ce prétexte (on pourrait raser la ville si on voulait chercher sérieusement des vestiges).

Lotissements pavillonnaires périurbains

La deuxième ceinture d'habitations (zone 4) se trouve, au sud, derrière la voie de chemin de fer (TGV actuel). Elle est constituée d'une première zone pavillonnaire, qui date des années 1950-60. La caractéristique des pavillons modernes est que le jardin est souvent sur rue, aux murs peu élevés, contrairement aux maisons de ville de la zone précédente.



Cette ceinture pavillonnaire est limitée au sud par un périphérique est-ouest, sur la route d'Avignon à Montpellier, qui a été construit postérieurement, pour éviter le centre. En bordure de ce périphérique, et sur la route d'Arles, qui le coupe en direction sud-est, ont été construit ensuite plusieurs hypermarchés qui ont cannibalisé progressivement les commerces du centre-ville.

Une troisième ceinture pavillonnaire (zone 6) s'étend au-delà du « périphérique », qui devient donc une sorte de boulevard séparant deux zones pavillonnaires. Cette nouvelle tranche de pavillons va jusqu'à l'autoroute. Au-delà de l'autoroute, se situent quelques petits villages qui ont également tendance à se développer.



Le "périphérique" sud n'en est plus un...

Une partie de cette zone sud entre la voie de chemin de fer et l'autoroute est construite en zone potentiellement inondable. On connaît les épisodes qui ont vu les grandes inondations de Nîmes en 1988 par les « cadereaux » (sortes d'oueds) et les inondations des villages de la plaine par le Vistre en 2005. On constate sur Google Maps® qu'un des lits de rivière ne peut guère supporter une crue.


Périurbain chic

Au nord, les collines de garrigues sont aujourd'hui couvertes de villas, avec quelques quartiers résidentiels plus ou moins huppés, qui donnent à la zone un aspect « ville haute ». Mais l'éloignement du centre n'était pas forcément bien coté, qui pouvait faire aussi « nouveau riche ». En outre, par le passé, les parties les plus éloignées étaient seulement constituées de « mazets » (ou « masets » de « petits mas »), souvent très sommaires, sans eau (une citerne recueillait l'eau de pluie) ni électricité, entourés de murs de pierres sèches. Ces mazets servaient de lieu de loisir pour la famille ou les amis, le dimanche, pendant la saison chaude. Il en reste quelques-uns ou quelques traces d'une occupation ancienne.



Depuis la Deuxième Guerre mondiale, petit à petit, avec l'extension des équipements urbains (eau, électricité...) et la possession d'automobiles, les collines se sont peuplées et les mazets sont devenus des villas. On a vu dans le précédent reportage Google Maps® à Poulx que la piscine est devenue un must. Quelques zones pavillonnaires denses sont aussi présentes,



L'extension de la zone de villas est cependant arrêtée par le « Camp des garrigues », zone d'entraînement de l'armée de terre et de la légion. Nîmes est une ville de garnison très ancienne (le village de Poulx, déjà mentionné, se trouve juste derrière le camp militaire).

ZUP

À l'ouest, un peu avant la zone industrielle et juste derrière des installations sportives, la ZUP de Nîmes (« ZUP sud » ou Pissevin) a connu son heure de célébrité (architecte Xavier Arsène-Henry). Elle était surtout connue, à l'époque, pour ne pas avoir de commerce à proximité, à une époque où les voitures étaient rares, surtout pour la population concernée (les ouvriers se déplaçaient à mobylette). La zone était assez désolée, sans verdure, et les travaux traînaient en longueur dans un chantier perpétuel. Certes, comme le disait le démographe Alfred Sauvy : « les arbres pousseront », mais il n'y avait guère de préoccupations paysagères à l'époque, et cette situation s'éternisait. La ZUP ouest s'est agrandie un peu plus tard d'une deuxième tranche (« ZUP nord » ou Valdegour) à proximité immédiate, un peu plus haut sur les collines, encore plus isolée à l'époque.


Zup sud (Pissevin)

Zup nord (Valdegour)

Elle est aujourd'hui entourée d'une nouvelle zone pavillonnaire et du nouvel hôpital. Les deux ZUP se trouvent à proximité des hypermarchés de la partie ouest du périphérique qui a été prolongé vers le nord pour contourner complètement la ville. La possession d'automobiles change la situation. Mais la réputation et la marginalité sociale persistent.

Une deuxième zone d'immeubles HLM, le « Chemin bas d'Avignon » est située à l'est, plus petite. D'autres petits groupes d'immeubles ont suivi à proximité, le long du périphérique sud. Les ZUP ont accueilli les rapatriés d'Algérie en 1962, avant d'accueillir les immigrés. Elles étaient toutes les deux situées aux sorties de la ville, à moins de deux kilomètres du centre, des Arènes.


Chemin bas d'Avignon

Oliviers (au milieu de pavillons)

Urbanisme provincial

Le cas de Nîmes nous permet de nous rendre compte que l'urbanisation proprement dite n'existe pas vraiment. Si on synthétise le schéma global, on constate que la ville se réduit à un petit centre. On ne peut pas vraiment parler de ville pour l'ensemble. Elle n'existe ni dans la ceinture des maisons de ville, ni dans la zone pavillonnaire, ni dans la ZUP.

L'urbanisme est constitué d'une juxtaposition de modes architecturales sans trop de cohérence, à partir d'une velléité de centre. On a commencé à construire quelques immeubles dont on pouvait supposer qu'ils constitueraient un modèle. Mais la mode n'a pas duré assez longtemps et la ville était trop petite pour qu'il y en ait suffisamment avant de passer à une autre mode. La seule vraie logique est finalement la tendance à préférer la maison familiale, d'abord maison de ville, puis pavillon avec jardin sur rue.

La zone autour du centre, qui occupe la majorité de la partie plane de la ville, aurait pu connaître un développement vraiment urbain qui n'a pas eu lieu. Il aurait pu permettre d'éviter un étalement inutile qui s'est poursuivi par la construction des deux ZUP. La population est relativement peu importante, avec une croissance sur le dernier demi-siècle. C'est le cas général en province. Contrairement à mes souvenirs, cette zone n'est pas si grande. Elle représente moins d'un arrondissement de Paris, la distance maximale correspond à trois stations de métro parisien.

Ce choix de l'étalement pour une assez petite population rend nécessaire l'automobile. La dernière fois que je suis retourné à Nîmes, la circulation dans le petit centre était devenue vraiment excessive. Un inconvénient de la partie intermédiaire de la ville est que les rues pénétrantes ne sont pas suffisantes pour l'accroissement du trafic, spécialement du fait que les villages alentour (comme Poulx) sont devenus des banlieues qui nécessitent de posséder des véhicules pour venir travailler ou étudier en ville.

La majorité de la population habite à l'extérieur du petit centre de cinq cents mètres de diamètre. Mais comme presque toute l'activité commerciale y était concentrée, les locaux ont eu tendance à abuser de l'automobile pour se déplacer. Tout le reste était un désert commercial. Et aujourd'hui, l'animation principale a été déportée dans les hypermarchés extérieurs. D'ailleurs, cette implantation à l'extérieur de la ville a sans doute été facilitée par la concentration précédente.

L'avantage de la ville est qu'il existe trois contournements qui permettent d'éviter le centre. Depuis longtemps un boulevard longe la voie de chemin de fer ; un périphérique sud déjà ancien a été prolongé côté ouest pour rejoindre la route d'Alès au nord ; et l'autoroute vers l'Espagne permet d'éviter complètement la ville. Mais l'absence d'urbanisation équilibrée a créé une concentration dès l'époque où la population était bien inférieure et sans véhicule.

Une solution pour désengorger le centre serait sans doute de rompre avec la tradition et de construire plus de parkings pour se débarrasser de sa voiture dans la journée. Il semble exister actuellement un service de bus gratuits pour ceux qui déposent leur voiture au parking. Ce principe pourrait être renforcé (et électrifié). Le service de bus a judicieusement inclus les villages alentour. Mais selon les indications disponibles en ligne, le trajet est assez lent : cinquante minutes pour 12 kilomètres dans le cas du village de Poulx, dont j'ai déjà parlé. On peut aller plus vite à vélo. Mais je doute que ce soit le moyen de transport employé.

Ce cas particulier de Nîmes a besoin d'être confronté à celui des autres villes de province pour confirmer la généralité du modèle « anti-urbain », qui explique bien des choses. Les ZUP auront été un moment d'utopie planificatrice qui a consisté finalement à « construire les villes à la campagne », selon le mot attribué souvent à l'humoriste Alphonse Allais. On les a construites inutilement loin du centre, sans commerce, à une époque sans transport, et elles ont été absorbées par les extensions des zones pavillonnaires avec lesquelles elles entrent en conflit.

On constate avec les maisons de villes ou les zones pavillonnaires que le souhait des gens était plutôt de « vivre la campagne à la ville. » Il faudrait en prendre conscience dans l'urbanisme à venir. Certaines pratiques de jardins de proximité, ou sur les toits à New York, relèvent de ce modèle.

Jacques Bolo

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