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Économie / Politique - Août 2012

Quelle politique industrielle pour la gauche ?

Résumé

Le modèle français de politique industrielle centralisée a fait son temps. On n'est plus dans les Trente glorieuses gaullistes. Les ouvriers de PSA ne sont pas ceux de l'ancienne Régie Renault.

La révolte des employés du site de PSA d'Aulnay, promis à la fermeture, met la pression sur la gauche dès le début de la présidence de Hollande. Comme il n'y a pas d'« état de grâce », on peut constater que la laïcité progresse. Et c'est très bien, même si ce n'est pas sur la thématique anti-musulmane habituelle. Mais c'est comme ça que ça marche : « Tu l'as voulu, tu l'as eu ! » Un concept s'applique universellement sans état d'âme.

Au passage, contrairement au refrain actuel sur les classes populaires de souche, on a pu constater que les ouvriers de l'automobile comptaient bien de nombreux immigrés, quoique intégrés depuis longtemps, mais ça compte pas. Concrètement, cela devrait signifier qu'ils sont cuits. Ça tombe bien, l'époque n'est pas à l'assistanat pour les pauvres.

Mais le véritable défi pour la gauche est de toute façon la question de la légitimité de l'intervention de l'État dans la gestion d'une entreprise privée. PSA a reçu des aides et délocalise. C'était dans l'ordre des choses de la politique sarkozyste d'aider les riches pour qu'ils investissent (les pauvres sont très dépensiers). Les capitalistes assistés en profitent pour délocaliser la production et les profits. C'est comme ça que ça marche actuellement. Il faudrait quand même être au courant.

Une « politique industrielle » dans le cadre d'une économie de plus en plus privatisée procure surtout des effets d'aubaine pour les capitalistes, qui auraient dû faire les investissements concernés de toute façon. C'est un surcoût pour les finances publiques, soit directement par des subventions qui semblent légitimer le dumping national ou régional, soit indirectement par des exonérations d'impôts (locaux ou nationaux) ou des exonérations de charges sociales qui reviennent au même. Cela correspond exactement à une institutionnalisation de l'évasion fiscale qu'on condamne.

Mais c'est aussi un effet d'aubaine pour les ouvriers qui sont protégés uniquement parce qu'ils appartiennent à une grande entreprise, ou simplement parce qu'ils ont déjà un emploi. On laisse de côté les chômeurs, les PME et les jeunes, alors que c'est justement l'objectif de la campagne du candidat Hollande.

Mais surtout, puisqu'il n'existe plus d'investissement d'État, on finance des activités privées déficitaires au lieu de financer des projets d'avenir. Ce n'est pas ce qui s'appelle une politique industrielle. C'est au mieux une politique sociale. Mais comme la protection sociale générale est démantelée, c'est plutôt du clientélisme. Au mieux. Car ça penche plutôt vers la prise illégale d'intérêt, disons, avec des bonnes intentions, mais de gros risques de corruption. C'était précisément la cause de la crise grecque. La solution n'est évidemment pas de généraliser le modèle.

Comme je l'ai dit ailleurs, c'est Apple et Samsung qui ont une politique industrielle. Ce qu'on envisage ici est plutôt simplement du protectionnisme. C'est la partie politique. Mais on ne sait plus parler d'industrie. PSA délocalise parce que le marché de Peugeot est celui des petites voitures, en baisse, et qui subit d'ailleurs la concurrence de Renault. On projette donc d'aider un constructeur français contre un autre. On a vu à l'œuvre cette politique industrielle avec la prime à la casse J'ai également parlé de la véritable raison de la perte d'emploi dans l'automobile : on ne fabrique pas moins de voitures, mais il faut beaucoup moins d'employés pour en fabriquer que dans les années 1950, et le marché local n'est plus en expansion comme dans les Trente glorieuses.

L'industrie dépend directement de la consommation, dans le secteur automobile comme ailleurs. S'y ajoutent les problèmes écologiques et la hausse du prix du pétrole. Justement, sur ce dernier point, la question de la consommation est simple à comprendre. Les voitures actuelles consomment moins d'essence qu'avant. Il en résulte bien qu'il y a moins de pompistes. On ne va pas non plus s'acheter des 4x4 qui sucent comme des malades juste pour soutenir l'emploi.

La question industrielle concerne les progrès permanents de la productivité et de l'innovation. Mais, il ne faut pas voir que les pertes d'emploi qui en résultent. D'ailleurs, la révolution industrielle dans son ensemble est bien le résultat de l'innovation et de la généralisation de la consommation (avec les problèmes qui vont avec). Mais la limite est l'utilité sociale. L'idée qu'il faudrait consommer toujours plus pour produire davantage (Ford avait même envisagé les automobiles à jeter) est une vue de l'esprit d'industriel imbécile (d'où la question des bulles boursières) ou de politicien peu sérieux. Certes, c'est vrai au niveau local ou micro-économique, mais pas au niveau global ou macro-économique (bref, on déshabille Pierre pour habiller Paul). Et la France n'est pas en bonne position de concurrence.

Le véritable problème est justement celui de la capacité à répondre aux consommations nouvelles, sinon ce sont les autres (Apple, Samsung...) qui y répondent. C'est cela une politique industrielle. On peut constater que la France n'est pas très bien placée. D'autant que les problèmes de Fukushima remettent en question les projets de ventes de centrales nucléaires, dont la France croyait tirer un avantage comparatif.

C'est plus compliqué de répondre à la demande quand on ne s'intéresse qu'à l'offre centralisée (inconvénient du nucléaire). La France a raté le coche de la révolution informatique, où elle était relativement bien placée, en s'occupant trop de sauver les secteurs en perdition. L'informatique, précisément du fait des délocalisations, permet de se décharger de lourds investissements et de se concentrer sur la conception et le marketing et d'en arroser la planète entière sans trop d'efforts. Du fait de cette internationalisation, cela ne peut pas être le fait d'une politique industrielle nationalisée. Il faut bien que le privé s'en charge, et ce n'est pas le cas quand le capitalisme français fonctionne trop sur le modèle du secteur public.

Le meilleur exemple d'inadaptation des Français à la demande est l'importance qu'a pris le site de vente américain Amazon, qui est en train de monopoliser le marché du livre en France. Apparemment, les sites français Chapitre, FNAC ou Alapage, qui étaient pourtant présents dès le début d'Internet (avant Amazon), n'ont pas fait le poids, alors que le livre concerne bien des produits essentiellement locaux du fait de la langue. L'inconvénient est qu'avec Amazon, l'État est privé de la TVA pour des produits pourtant achetés sur le territoire national (ce qui est franchement anormal), sous prétexte que le siège social est délocalisé au Luxembourg. Il faudrait résoudre cette anomalie réglementaire.

L'incompétence commerciale s'accompagne d'une incompétence institutionnelle ou politique. Bref, on parle beaucoup de « politique industrielle », mais on n'est compétent ni en politique, ni en industrie. C'est mal barré.

Jacques Bolo

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