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Démographie / Économie - Octobre 2011

Frédéric Lefebvre malthusien

Résumé

Frédéric Lefebvre a rejoint les rangs des malthusiens. C'est un retour de la prise en compte du facteur démographique qu'on s'obstine à oublier. On se demande bien pourquoi !

Divine surprise ! Dans la France nataliste, Frédéric Lefebvre, secrétaire d'Etat au Commerce, a rejoint les rangs des malthusiens. Le 26 août dernier, au cours d'un déplacement en province, il a osé envisager que la forte natalité française était un des facteurs de la persistance du chômage. Évidemment, il a été conspué par tout le monde, et le web s'est déchaîné contre lui. Mais il est intéressant de voir qu'on prend en compte, pour une fois, le facteur démographique.

Lefebvre a même déclaré que l'Allemagne bénéficiait de sa dénatalité en ce qui concerne son taux de chômage. Il aurait pu aller encore plus loin et considérer que les performances économiques allemandes pouvaient s'expliquer par un partage du PIB entre moins de citoyens. Ce qui leur donne un pouvoir d'achat supérieur. Il me semble qu'on a négligé, du fait du culte de la croissance qui s'apparente à une fuite en avant, ce simple mécanisme qui consiste à concentrer les richesses. On sait que les très riches se partagent à peu de personnes une part importante de la richesse nationale. C'est aussi vérifiable pour l'héritage.

Les riches préfèrent tenir que courir et accumuler. Toujours attendre la croissance comme la seule solution revient à parler de ressources futures en oubliant une meilleure répartition ou en la remettant aux calendes grecques ! Une forte démographie revient bien à diluer les ressources en espérant qu'il en résultera une demande qui n'arrive pas, puisque seule la croissance par personne est significative.

Comme je l'ai mentionné dans mon compte rendu du livre de Jean Fourastié, Les Trente glorieuses, la croissance de l'Après guerre, qui sert de référence aujourd'hui, doit être pondérée par le fait qu'elle comprenait d'abord la reconstruction (et le plan Marshall), mais aussi que la population a augmenté de 30 % entre 1945 et 1975. Ce qui diminue l'accroissement de la richesse par habitant. Le principal facteur est aussi la mutation de civilisation qui généralisé le niveau de vie des anciennes classes supérieures à une classe moyenne gigantesque. Une fois un certain niveau d'équipement réalisé, il faudrait continuer d'augmenter la population pour poursuivre la croissance de l'économie globale. Quand la consommation se limite au renouvellement, le niveau de vie de chaque ménage augmente seulement du fait de l'innovation.

On a accusé Frédéric Lefebvre de viser les immigrés. Il n'est pas impossible que ce sous-entendu soit présent, ou que ses paroles soient interprétées en ce sens par les francs racistes ou l'air du temps anti-immigrationniste. La faute de ce gouvernement est de laisser libre court à ce genre d'interprétation malsaine pour aller à la pèche aux voix du Front national. Il suffirait de démentir explicitement cette interprétation par un débat sur des bases sérieuses et tout le monde bénéficierait du traitement honnête d'une question qui se pose réellement. Se moquer de Lefebvre peut aussi être le résultat de la méconnaissance de cette réalité, ou d'une forme d'omerta, du fait de la tradition nataliste.

Justement, en ce qui concerne les immigrés originaires d'Afrique ou des pays arabo-musulmans, puisqu'ils se caractérisent effectivement par des familles très nombreuses, et qu'ils se concentrent dans des ghettos où règne le chômage, j'ai déjà eu l'occasion d'envisager, l'an dernier, le rôle du facteur démographique.

« Le chômage chez les immigrés, jeunes surtout, peut être interprété comme directement lié à la démographie supérieure dans ces mêmes populations pauvres très concentrées et ethnicisées. [...] La bonne nouvelle est d'ailleurs que le racisme peut être considéré comme moins important que prévu. Si dans une famille de six enfants, la moitié est au chômage, l'autre moitié a donc bien été absorbée sans problèmes. Le racisme devient simplement le discours de ceux qui analysent la question de façon orientée, intentionnellement ou par incompétence. [...] Le racisme et l'antiracisme expliquent les discours, mais pas le phénomène. On constate que la démographie peut l'expliquer. »

J'ajoutais que cette situation « correspond exactement à une enclave de pays de Tiers-monde [avant la transition démographique] dans les pays riches ». Méthodologiquement parlant, comme on peut difficilement faire des expérimentations sur les êtres humains (demander à une population témoin de faire des enfants pour voir le résultat), on peut considérer les cas observables comme des quasi-expérimentations. On peut toujours dire qu'il existe d'autres facteurs explicatifs (pauvreté, niveau scolaire, origine étrangère, etc.). Il me paraît certain que la situation aurait été différente si le nombre d'enfants avait été deux ou trois fois inférieur. Et surtout, il n'y a aucune raison d'éliminer a priori le facteur démographique, sinon pour se conformer à l'idéologie nataliste qui règne depuis le XIXe siècle dans l'économie politique française. On sait que c'était par complexe d'infériorité envers l'Allemagne.

Concernant les immigrés, justement, on observe que la transition démographique a bien lieu pour la seconde génération. Il existe une légende implicite sur une forme d'inconscient collectif pour motiver cette transition. On peut penser au contraire que c'est par une décision consciente que les ménages décident de limiter le nombre de leurs enfants. On peut supposer que les fils d'immigrés ne sont pas plus stupides que les fils ou les petits-fils de français du début du XXe siècle qui avaient des familles aussi nombreuses. La décision des ménages est liée à l'accroissement du niveau de vie et d'éducation dans les deux cas.

D'ailleurs, il n'est pas interdit aux Français « de souche » de faire des enfants. Si les ménages des classes moyennes se limitent, c'est bien qu'une famille nombreuse est difficile à entretenir. Ce n'est pas forcément de l'égoïsme, mais c'est plutôt la conscience des difficultés qui concernent aussi la qualité de vie des enfants. Personne ne fait des enfants pour faire plaisir aux démographes, aux économistes et au gouvernement, dans le seul objectif patriotique d'augmenter la demande et de relancer l'économie. Il faudrait que cette réalité soit aussi enregistrée. Sinon, il faudrait considérer que les immigrés sont bien plus patriotes que les autochtones.

Accessoirement, puisqu'on parle des immigrés, et bien que ce ne soit pas le sujet, mais c'est toujours le sujet quand on parle des immigrés, j'avais aussi proposé une interprétation démographique de la délinquance dans les banlieues. Quand on entasse des familles très nombreuses dans les mêmes immeubles, il ne faut pas s'étonner s'il en résulte une accumulation de problèmes. Ce sont les jeunes hommes qui sont les plus concernés. Plus ils sont nombreux, plus ils font des bêtises, augmentées par l'effet d'entraînement. La concentration de l'immigration dans des ghettos correspond à une expérimentation démographique qui consiste à regrouper les familles nombreuses dans le même immeuble. On peut incriminer le facteur immigration, je pense qu'il est plus logique d'incriminer le facteur démographique. Il est en tout cas exclu de l'éliminer.

On peut donc en conclure que Frédéric Lefebvre est davantage dans le vrai que ceux qui lui ont fait la leçon avec la bonne conscience du conformisme sûr de détenir une vérité garantie par la faculté (sans parler du Vatican). Le point le plus important est que la natalité actuelle (environ 800 000 naissances par an) n'a pratiquement pas baissé depuis le baby boom de 1946 (850 000 naissances par an), qui augmentait d'environ 200 000 le chiffre des naissances de la période d'avant-guerre, du fait de la dénatalité due à la guerre de 14-18.

L'information à relever est que 65 ans après, les départs à la retraite vont donc augmenter de 200 000, à partir de 2012. L'an prochain. Et les départs seront, pendant trente ans (la durée du baby boom) supérieurs au nombre d'entrées dans la vie active. Du fait de l'allongement de la durée de vie, les jeunes arrivant à vingt ans seront moins nombreux que les vieux à soixante-cinq, sans doute pour la première fois dans l'histoire. Ce facteur-ci est bien exclusivement démographique.

Jacques Bolo

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