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Culture / Société - Mai 2019

Fresque de Di Rosa raciste ?

Résumé

Une nouvelle polémique sur le racisme et le politiquement correct. Il faudrait plutôt prendre l'habitude d'analyser les choses plus spécifiquement de part et d'autre.

Une fresque de l'ex-jeune-peintre Hervé Di Rosa, de l'école de la figuration libre, sur les murs de l'assemblée nationale, bien que présente depuis 1991, a récemment causé un scandale auprès de deux universitaires, Mame-Fatou Niang et Julien Suaudeau et d'associations, qui y voient des clichés racistes. Cela a donc déclenché en retour une critique contre ces personnes ou ces organisations au nom de la liberté de création, d'expression, ou contre le politiquement correct.

Évidemment, Hervé Di Rosa se défend d'être raciste. Il n'y a pas trop de raison d'en douter. L'argument habituel selon lequel chacun aurait des préjugés inconscients résiduels est une facilité qui tourne au procès d'intention, puisque personne ne sait lire dans l'inconscient d'autrui (ni dans le sien d'ailleurs). Une psychanalyse sauvage est d'autant plus fautive, que la psychanalyse traditionnelle nécessite une démarche volontaire du patient et que le but de la cure est de l'aider et non de l'enfoncer. L'usage stigmatisant de la psychanalyse relève simplement du dénigrement contre les adversaires politiques réels ou supposés.

Si on parle d'inconscient, le racisme en question correspondrait plutôt à l'état de la société environnante qui induit une lecture conforme aux préjugés ambiants chaque fois qu'on fait des références implicites ou explicites aux victimes de préjugés. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il ne sert à rien de changer les mots « Nègre » en « Noir », « personne de couleur », « black » ou « racisé » plus récemment. Les préjugés envers ceux que désignent les mots successifs seront simplement ceux de l'époque correspondante. Ce ne sont pas les mots qui modifient les préjugés, mais ils se chargent automatiquement des préjugés ambiants malgré un changement. Il faudrait en finir avec le constructivisme linguistique qui prétend que les mots créent les choses.

La réalité sémantique ne signifie pas non plus que les intentions de l'auteur sont forcément comprises dans les mots ou les signes qu'il utilise. La difficulté pour les intellectuels à l'admettre est causée par le rôle démesuré qu'ils attribuent aux indices que sont les signes. Il faut effectivement baser ses interprétations sur quelque chose, mais puisqu'il est question de psychanalyse sauvage, on pourrait aussi parler de projection de ce racisme ambiant sur celui qu'on vise. Il faut comprendre correctement les choses quand on se livre à des accusations contre quelqu'un qui s'en défend. Cela revient souvent à lui reprocher de ne pas se démarquer assez de ce dont on l'accuse. C'est bien une possibilité. Dans le cas général, il peut s'agir d'une négligence légitime quand on ne parlait pas vraiment du sujet : les accusateurs ne doivent pas tout rabattre sur leurs préoccupations. Il peut effectivement s'agir d'une maladresse, d'une erreur, ou d'une inconséquence. On a raison de le signaler. Mais il faut également le faire dans un but bienveillant et ne pas se livrer à des diffamations gratuites tout aussi négligentes ou insensibles. Une méthode qui intègre la critique et la tolérance est classiquement d'en plaisanter.

Il faudrait partir du principe que quand quelqu'un dit qu'il n'est pas raciste, il ne l'est pas. Il n'y a pas de raison de douter a priori de sa sincérité. En la matière, le problème est la différence entre un menteur et quelqu'un qui pense vraiment ce qu'il dit. On ne va pas se voiler la face, la réalité est aussi, notoirement, que sur ces questions de racisme, d'antisémitisme, de sexisme, il existe une forme de paranoïa de la part des personnes qui s'en estiment victimes. C'est une réaction parfaitement normale de la part de toute victime en général. Il existe une hypersensibilité quand on a subi un traumatisme ou à plus forte raison quand on en subit régulièrement, ce qui est forcément le cas en ce qui concerne les discriminations. On y est sensible autant pour soi que pour les autres, et l'actualité jette souvent du sel sur la plaie pour les questions de ce genre.

Il est donc d'autant plus nécessaire de ne pas en rajouter. La bonne tactique pour soulager les victimes ou les personnes inquiètes n'est pas de les traumatiser davantage. Certaines préféreront tourner la page, d'autres militer pour que les choses changent. Il ne faut pas imposer sa propre solution à tout le monde, ce que les militants ont un peu trop tendance à faire (outre le risque de condescendance d'une victimisation réductrice). La réalité est toujours qu'il faut revenir à ce qui devrait être la normale. Du fait qu'on ne peut pas forcément changer immédiatement la situation, pour les victimes comme pour les témoins, il faut bien reprendre le cours de sa propre vie dans les autres domaines.

Il ne faut surtout pas ajouter l'erreur d'une fausse analyse à une situation insatisfaisante. Une erreur consiste justement à considérer que la situation devrait être ce qu'on souhaite alors même qu'on lui reproche de ne pas être idéale. Concrètement, cela signifie qu'on va en chier encore quelque temps avant que les choses changent ! Tout le monde sait bien que faire monter la sauce non seulement n'améliorera pas la situation, mais risque aussi de l'envenimer. C'est un peu ce qui se passe en ce moment dans plusieurs domaines. La vraie question est l'efficacité des actions qu'on propose et pas de seulement la satisfaction de faire parler du sujet. La médiatisation est un peu trop le critère politique actuel qu'on assimile à tort à une résolution. Le seul résultat véritable de la mise sur la place publique est que les racistes et les antiracistes se comptent. Les autres sont indifférents ou, ces derniers temps, plutôt gagnés aux racistes qui critiquent le politiquement correct et les exagérations contre-productives des antiracistes. On est plutôt dans l'effet Streisand qui consiste à faire une publicité néfaste à sa cause.

Dans le cas précis de la fresque de Di Rosa, il serait sans doute préférable de ne pas vouloir censurer une initiative sans doute bien intentionnée dont l'expression peut être maladroite. Le style spécifique de Di Rosa utilise de toute façon le mode de la caricature. Il ne faut pas faire semblant de s'étonner du fait que des caricatures peuvent vexer ou déplaire. On a pu lire pour la défense de l'artiste que cette esthétique prétend manifester une forme de second degré jouant sur l'imaginaire colonial. Une véritable critique peut bien reprocher à Di Rosa de justement ne pas innover sur l'imagerie traditionnelle. La signification de l'excuse bateau du second degré est surtout le manque d'originalité. On est dans le ready-made et le déjà-vu kitsch (c'est aussi à la mode) plus que dans le fait de s'en moquer. La caricature est aussi une pratique qui nécessite une certaine maîtrise.

À la suite de cette affaire, certains se sont donc portés à la rescousse de l'artiste. La meilleure défense étant l'attaque, ils ont visé les apprentis censeurs. On peut se demander si le véritable racisme ne consiste pas plutôt dans l'insinuation plus ou moins implicite à l'occasion que les anciens Indigènes (et leurs défenseurs) ne comprennent rien aux subtils jeux de références de l'histoire de l'art. On peut rétorquer que ce type de clin d'oeil relève d'une forme de facilité, spécialement quand il s'agit d'une commande publique. La symbolique et la citation lourdingues sont un peu la loi du genre. Ceux qui connaissent l'histoire de l'art pourraient estimer que refaire à l'infini des déjeuners sur l'herbe a une forte tendance à constituer un exercice très convenu d'élèves d'école des beaux-arts. Di Rosa est resté très jeune d'esprit. Chacun ses limites.

D'autres pourraient aussi estimer qu'il s'agit d'un flop. Si le but de Di Rosa était de déranger les racistes au lieu de déranger les Noirs, il faut bien reconnaître que c'est raté, contrairement au titre d'un article paru dix ans plus tôt, dans Libé Lyon du 21 septembre 2009, intitulé « Hervé Di Rosa, extra-lucide », mais où l'on peut s'apercevoir que le racisme ne le caractérise pas non plus. Je ne connais pas suffisamment l'histoire de l'art pour savoir si le Guernica de Picasso a aussi fait jubiler les franquistes et les nazis en son temps (certains n'envisagent même pas cette possibilité de lecture). Sur le sujet, on ressasse plutôt l'anecdote selon laquelle l'artiste aurait dit au nazi qui lui demandait si c'était lui qui avait fait le tableau : « Non, c'est vous ! » Avec cette affaire, Di Rosa pourra moins briller en société que Picasso aux côtés de la Résistance.

J'avais déjà eu aussi l'occasion d'évoquer cette oeuvre célèbre sur la guerre d'Espagne en disant qu'en tout état de cause, Guernica (1937) n'a pas empêché la Deuxième Guerre mondiale. Il ne faudrait pas que les artistes exagèrent leur importance dans l'histoire réelle, comme cela a un peu trop tendance à être le cas.

Jacques Bolo

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