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Politique - Mai 2018

L'échec démocratique de Macron

Résumé

La contestation webmédiatique de Macron, pour inefficace qu'elle soit, montre les limites actuelles de la démocratie. Le paradoxe du volontarisme, pour bousculer les blocages, est une forme d'étatisme libéral qui maintient précisément les mauvaises habitudes dirigistes qu'il faut justement renverser, parce qu'elles dominent à gauche comme à droite.

Un défaut de la situation politique est que l'oppositionnisme systématique aux gouvernements ou aux puissants en général, amplifié par les réseaux sociaux sur Internet, a une visibilité démesurée par rapport à son influence réelle, qui est à peu près nulle. Concrètement, on peut dire qu'on se trouve encore en situation de Quatrième République ou de l'Italie, où les opposants tentent de faire sauter les gouvernements, pour prendre évidemment la place de président du Conseil. Mais comme ce n'est pas le système actuel, ça tourne à vide. Au mieux, on peut faire sauter un ministre avec un scandale quelconque, c'est d'ailleurs arrivé d'emblée pour certains soutiens de Macron comme François Bayrou, pour une affaire d'emploi fictif du Modem au parlement européen, ou pour Richard Ferrand, pour une accusation de prise illégale d'intérêt, qui a été déclarée prescrite. Ce phénomène est d'ailleurs vrai pour les autres partis : le FN avec des emplois fictifs européens, les surfacturations de frais de campagne pour les Insoumis de Mélenchon, etc. Le jeu consite à exposer les cadavres dans les placards des uns et des autres. Ça marche ou pas. Les petits arrangements à la méditerranéenne sont de plus en plus traités à la scandinave, avec la relative hypocrisie journalistique à l'américaine. Les affaires sexuelles du président Clinton en étaient un bon exemple, entre harcèlement sexuel et rapports consentis, finalement sans effet direct (sinon peut-être l'échec de sa femme Hillary contre Trump).

Le cas du président Macron s'inscrit un peu dans la continuité de celle de Hollande, bien qu'il ait voulu s'en démarquer d'emblée contre l'idée de « président normal », et on le comprend puisque le Hollande-bashing a commencé tout de suite après son élection, comme je le rappelais un an plus tard. Macron aura résisté un peu plus longtemps, mais on risque d'aboutir au même résultat pour le premier anniversaire de son quinquennat.

Macron est un peu jeune

Sans doute pour ne pas connaître le sort de Hollande, Emmanuel Macron a voulu commencer fort, en prétendant donner à la politique un coup de jeune. Il a réussi son coup d'arriver au pouvoir en sortant de nulle part et a confirmé par l'élection de ses partisans à l'Assemblée. C'est un peu une vengeance de Jean Lecanuet et Jean-Jacques Servan-Schreiber, qui n'avaient pas réussi en 1965 à imiter le modèle américain de Kennedy. Encore que ce dernier s'était fait assassiner rapidement, comme pour casser l'ambiance.

Macron utilise les codes du moment, comme celui de la « start-up nation », pour exprimer l'image du dynamisme et ça peut peut-être marcher, ou pas, comme une victoire à la coupe du monde de football en 1998. Il semble croire aux symboles. Moi pas. Du fait qu'il a l'âge qu'il a, il reproduit le schéma mental des jeunes cadres dynamiques de la période yuppie, il a confirmé en devenant banquier d'affaires et en entrant très jeune dans les cabinets ministériels. C'est ce qu'on appelle une belle carrière personnelle. Mais ce n'est pas généralisable (par définition).

J'ai mentionné dans « Macron contestation » qu'il me paraissait victime de ce que j'ai appelé le libéralisme journalistique qui a l'inconvénient de braquer tout le monde en France, et que je considère plutôt comme approximatif. Il paraît valide à ses partisans uniquement parce qu'ils sont trompés par les archaïsmes de droite et de gauche auxquels ils s'opposent. Tout est toujours relatif (sauf ce qui ne l'est pas).

Étatisme classique

Le paradoxe de Macron est déjà d'avoir voulu être président de la République. C'est un biais autoritaire archaïque de droite ou de gauche de vouloir réformer l'État alors que les vraies start-up sont des entreprises privées. On comprend qu'il faille remédier aux blocages. Mais l'idée même de blocage me parait relever du 'libéralisme journalistique' comme généralité exacte, mais appliquée à tort et à travers. C'est une forme de contresens de technocrate sur Crozier. Croire qu'on va pouvoir tout réformer d'en haut est simplement trop optimiste et ne tient pas compte des résistances et des sabotages dont parlait ce sociologue.

Le seul espoir que l'activisme de Macron fonctionne est de parier que les blocages seront inopérants au final. C'est ce qu'il vise par son intransigeance envers les grévistes de la SNCF. Concrètement, un résultat positif est possible à condition que l'initiative privée suive, puisqu'actuellement l'État ne joue plus sur l'initiative publique qui était le cadre précédent de l'idéologie de droite et de gauche (même si c'est surtout la gauche qui le revendique). J'ai déjà mentionné que l'objectif (libéral médiatique) de réduction des dépenses publiques pour favoriser l'activité économique négligeait que les dépenses des uns sont forcément les recettes des autres. L'inconvénient de la fin des investissements publics est que les grands équipements de la période précédente étaient forcément locaux (pendant les Trente glorieuses), alors que les investissements privés peuvent se délocaliser et que la consommation peut faire augmenter les importations. Cela peut revenir à remplacer le déficit public par l'endettement privé.

Horizontalité/Verticalité

Il a couru le bruit que Macron serait un « président jupitérien », mais ce n'est pas comme ça que ça marche. Il a revendiqué lui-même l'idée que la présidence n'était pas seulement un syndic de copropriété, et qu'il avait une autre idée de la fonction et de la France. Il est peut-être justement victime de la légende nationale incarnée classiquement par le mythe gaullien et plus généralement par un paradoxal « roman » national issu de l'enseignement scolaire de l'histoire. J'ai eu souvent l'occasion de dire que cela correspondait à la version laïque du catholicisme comme gestion d'une population majoritairement illettrée, tradition reprise par le parti communiste. Je rappelle souvent qu'il y avait 1 % de bacheliers en 1900, 4 % en 1936, 15 % en 1970, 70 % en 2000. Mais les représentations sociales sont souvent les mêmes qu'avant, d'où l'attitude technocratique, alors qu'on ne gère pas une population instruite comme des ignorants. On sait que Macron lui-même a été épinglé sur ce point quand il avait dit que des ouvrières de l'entreprise Gad auraient du mal à se reclasser parce qu'elles étaient illettrées. Un technocrate quelconque avait dû lui donner l'info en généralisant abusivement (méthode philosophique) des cas particuliers réels. C'est comme ça que ça fonctionne a priori. Mais justement, entre gens plus instruits, voire simplement entre adultes autonomes, le comportement correct d'un élu est précisément celui d'un syndic de copropriété et non celui d'un directeur de conscience ou d'un mandataire de curatelle ou de tutelle.

Ce présidentialisme est un peu dans l'air du temps. La tendance mondiale générale semble bien être la concentration des pouvoirs dans le cadre national. Cela peut avoir des conséquences néfastes, à commencer par le protectionnisme américain ou le Brexit anglais, outre l'illibéralisme un peu partout qu'on feint de déplorer. En politique, on parle de pluralisme, mais on recherche la majorité absolue. La question de la victoire massive de députés macronistes est de savoir si la jeunesse ou l'amateurisme de certains va faire bouger les lignes ou s'ils vont être des godillots aux ordres. L'inconvénient est que les politiciens expérimentés de la bande exigent la « solidarité gouvernementale » qui correspond simplement à l'inexistence du parlement. Les décisions sont donc élaborées par des technocraties parallèles ou des lobbies, ce qui ne change pas forcément grand-chose, mais ajoute à l'opacité.

C'est tout le problème de l'illusion démocratique. Un des éléments de campagne de Macron était celui d'une plus grande horizontalité sur le mode de la nouvelle gauche rocardienne (évidemment considérée comme de droite par l'ancienne gauche), dont les membres résiduels soutiennent d'ailleurs le président. Une fois élu, il faut bien constater que Macron fonctionne plutôt sur la verticalité, ce qui pouvait éventuellement aussi être le cas de Michel Rocard : tout dépendant seulement des méthodes et des manoeuvres éventuelles de consultation. Le problème institutionnel est que c'est normalement le rôle du Parlement. Mais, évidemment, les décisions réelles peuvent prendre tous les chemins possibles et ne correspondent pas obligatoirement aux cadres formels. C'est parfaitement normal et c'est le formalisme qui ne correspond pas à la réalité qui n'est pas le bon formalisme. On connaît les sarcasmes pragmatiques américains contre l'intellectualisme français qui s'étonne : « Ça marche en pratique, mais est-ce que ça marche en théorie ? »

Toute la question est donc simplement de savoir si un état peut vraiment fonctionner de façon réellement centralisée dans les limites nationales. La critique rapide est que cela correspond au modèle fasciste (on parle d'illibéralisme actuellement), avec la conséquence que ça peut foirer 1) du fait de la concentration des pouvoirs (avec la foire d'empoigne au sommet) ou du caporalisme dans la société ; 2) de la concurrence internationale qui conduit à la guerre. Une critique plus réaliste consiste à dire que les choses marchent simplement parce que les gens se débrouillent, de toute façon, un peu comme ils peuvent et que, comme les réalités économiques sont déjà internationales, il faut bien faire avec.

Passer à l'action

Macron peut toujours réussir à faire sauter certains blocages français (à supposer qu'ils en soient réellement) et, dans le meilleur des cas, ça peut effectivement marcher un peu mieux. Dans les organisations sociales, il est parfois nécessaire que quelqu'un décide arbitrairement pour trancher des discussions interminables, d'autant que ça revient souvent au même de toute façon. C'est justement pour ça que l'histoire a empiriquement produit le présidentialisme. Mais ça peut aussi foirer. Et dans ce cas, le présidentialisme est simplement une excuse organisée socialement pour que les citoyens ne s'estiment pas responsables des décisions qu'ils appliquent. Il serait sans doute préférable que chacun assume les conséquences de ses décisions. Mais ce qui est vrai au niveau individuel n'est peut-être pas supportable sur le plan collectif.

Au final, la vraie solution pour le gouvernement actuel serait plutôt de faire assez vite des trucs qui marchent concrètement, parce que les réformes de structure dérangent les habitudes sans effets visibles. Un défaut fréquent de la conception énergique du pouvoir est de considérer que les mesures courageuses sont forcément impopulaires. Il faudrait aussi envisager que le rôle des pouvoirs publics est plutôt d'organiser ce qui recueille un consensus le plus large possible, dans une perspective rocardienne ou justement celle d'un syndic de copropriété. C'est moins glorieux, mais ça permet aux citoyens de participer sans traîner la patte.

Le vrai problème actuel étant la tendance à la liquidation des actifs publics, il est difficile aujourd'hui d'avoir une politique industrielle. Une solution serait d'améliorer radicalement la qualité des services publics restants pour faire gagner du temps à tout le monde au lieu de subventionner les entreprises privées en rêvant de retombées économiques qui n'arrivent jamais. Ça va faire quarante que ça dure, il faudrait commencer à s'en apercevoir. On appelle ça un audit, chez les technocrates. Le problème est ici que les élus ont cru trouver la solution participative en sous-traitant les missions de service public à des associations ou des partenariats public-privé. Ce qui a instauré une corruption généralisée dans les partis politiques dont il est difficile de sortir.

Jacques Bolo

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