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Politique 30.8.2005

Feu le socialisme

Division et unité

Dans un article récent (« Le talisman de L'unité », Le Monde, 23.04.05), faisant suite à la situation de division créée au PS par son soutien au non au référendum sur l'Europe, Laurent Fabius a essayé de recoller les morceaux en rappelant la permanence de la question de l'unité au cours de l'histoire du parti socialiste. Il y justifie son alliance avec la gauche du PS ou avec l'extrême gauche par les exemples passés de Jaurès, Blum et Mitterrand. Comme on peut le voir dans les références qu'il mentionne, la gauche a de tout temps été déchirée entre réformisme et révolution. Et le mythe de la révolution a toujours été une constante au parti socialiste français. Quand on relit le discours de Jaurès, on se dit précisément que le mollétisme (qui consiste précisément à tenir un discours radical avec une pratique réformiste) ne date pas d'hier: « Nous n'acceptons pas qu'on oppose l'action d'aujourd'hui à l'action d'après-demain. Nous n'acceptons pas qu'on oppose l'esprit révolutionnaire et l'action réformatrice du parti. Nous disons que, dans un parti vraiment et profondément socialiste, l'esprit révolutionnaire réel est en proportion de l'action réformatrice efficace, et que l'action réformatrice efficace est en proportion de la vigueur même de la pensée et de l'esprit révolutionnaires » (Toulouse, 1908). Comme le disait Marx, les événements historiques se répètent, d'abord comme tragédie, puis comme farce.

Idéalismes

Jaurès était un grand idéaliste, ce qui permet de faire de beaux discours, plus que de grandes réformes. Le principe en est le besoin qu'aurait le peuple de rêver, le besoin d'utopie, notion toujours valorisée à gauche. Et avec un peu d'indulgence sur les péripéties, on peut reconnaître que la situation au début du XXIe siècle correspond sur de nombreux points à certains souhaits des révolutionnaires du début des XXe ou XIXe siècles. Mais toute la question est de savoir ce qui, dans les réalisations obtenues, est dû à l'action révolutionnaire. Car les changements marquants au cours des deux derniers siècles sont surtout le résultat de la révolution industrielle. Pour prendre un exemple récent sur un point précis, la libération de la femme doit certainement plus à Moulinex et à la pilule qu'au féminisme. Si on considère ce qui reste à obtenir sur le plan social et politique, on remarque que les changements enregistrés ont eu lieu sur le plan pratique de la vie quotidienne et comme résultat de la scolarisation.

Les faibles résultats des révolutionnaires, d'autant plus patents qu'ils sont toujours aussi mécontents, devraient plutôt les inciter à abandonner le ton apocalyptique de l'utopie. Elle correspond simplement à l'idée des lendemains qui chantent, quand il ne s'agit pas plus prosaïquement de simples promesses électorales. Le recours à une phraséologie centenaire relève surtout d'un principe mythologique, ou du manque d'imagination, ce qui est bien le comble pour des laïques et des intellectuels. Les radicaux, en 1905, 1936, 1981 ou 2007, sont destinés à fournir la mythologie, dans ce cadre jauresso-mollétiste : « Réformiste dans l'action, révolutionnaire dans l'ambition ». Mais même cela repose sur une analyse un peu courte. Car le mythe révolutionnaire est plutôt la conséquence directe de l'absence de réformes, et sa conclusion est toujours un cycle de violences et de réactions encore plus violentes. Au point qu'on peut voir une symétrie, qui frise la causalité, entre l'alliance de la gauche avec l'extrême gauche et celle de la droite avec l'extrême droite qui réplique au maximalisme gauchiste.

On devrait pourtant être bien revenu de ces discours depuis les désillusions consécutives à l'échec du communisme. Mais il semble qu'il n'existe pas de théorie alternative, ni d'ailleurs de progrès intellectuel depuis le célèbre quintette Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao. Il est vrai que le fait que la vulgate soit aujourd'hui libérale relance la machine à slogans rétros. Mais la situation sociale contemporaine a changé. Elle repose essentiellement sur le niveau de formation qui va avec le progrès technique, et suppose au contraire un discours rationnel et argumenté pour permettre une action informée des acteurs et non leur contrôle par une avant-garde. La nécessité d'un bilan de ce qui a changé depuis 1900, voire 1789, et pourquoi cela a changé, est quand même le minimum. Sans oublier la nécessité d'une considération des nouvelles perspectives pour le XXIe siècle.

L'organisation

Apparemment, la question organisationnelle semble posée dans les mêmes termes, et avec les mêmes résultats, avoués candidement d'ailleurs par Laurent Fabius (qui réclame par ailleurs une « stratégie de rassemblement à gauche ») : « Dans l'instant, les guesdistes, mieux organisés, en sortent grands vainqueurs. Mais, face à l'histoire, l'union des socialistes est avant tout le fruit du travail de Jaurès ». Le problème étant qu'en choisissant le non, Fabius s'est mis du côté des vainqueurs maximalistes. Ce qui promet à la gauche du PS le rôle de dindon de la farce (ou de farce du dindon), en oubliant que c'est cette stratégie de mépris de ses alliés qui a éliminé Jospin au premier tour de l'élection présidentielle 2002.

François Hollande, dans son discours de clôture de l'université d'été du PS, a exprimé explicitement cette tendance à considérer le courant majoritaire comme déterminant seul la politique. Au moins, Fabius rappelle que la synthèse jaurésienne maintient le pluralisme et fonde l'unité sur un projet commun (et beaucoup de rhétorique [1]). Mais ce projet commun existe-t-il hors de la capacité de nuisance de chacun des courants du PS, ou de la gauche, les uns envers les autres. La cohérence des invectives réciproques exigerait la scission. Mais les scissions constituent elles aussi un fondement du gauchisme : ne dit-on pas que dès que des trotskistes sont trois, ils scissionnent (concurrencés en cela par les écologistes aujourd'hui). Et finalement, les bilans de Jaurès (assassiné), Blum (la guerre), ne sont pas si brillants, sauf toujours sur le mode du mythe. Quant à Mitterrand, il a précisément abouti à la situation actuelle où tout est à refaire !

Peut-être faudrait-il d'abord, comme de nombreuses entreprises changeant de nom, abandonner le terme même de socialisme, qui traîne au moins autant de casseroles que le Crédit lyonnais, nouvellement LCL (espérons que les créatifs du PS seront plus performants). Mais le contenu lui-même vaut-il mieux que l'attachement romantique à une histoire bénéficiant d'un préjugé favorable indu sur laquelle on se replie régressivement en cas de crise, comme Marguerite Duras, qui se disant toujours communiste, avait cependant abandonné l'idée que le communisme était possible. La littérature permettant ainsi de grandes choses.

Les partis de gauche sont-ils autre chose que des machines électorales pour des tribuns de la plèbe qui racontent de vielles histoires pour grands enfants. Les contes sont différentes selon les partis, mais une fois au pouvoir tous font la même chose – et cela vaut mieux, car ceux qui s'essaient à l'originalité provoquent des catastrophes. Il semble que les citoyens, de plus en plus instruits, commencent même à s'en apercevoir. Peut-être faudrait-il essayer d'arrêter de leur en conter ?


Jacques Bolo


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Voir aussi :

Note

1. « Le socialisme seul donnera à la Déclaration des droits de l'homme tout son sens et réalisera le droit humain. [...] Le socialisme est l'affirmation suprême du droit individuel. Rien n'est au-dessus de l'individu. [...] Un peu d'internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup d'internationalisme y ramène. » [...] (Jaurès cité par Laurent Fabius). Voir aussi deux de ses textes en cliquant ici. [Retour]


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