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Internet / Conneries - Janvier 2018

La fausse « neutralité du net »

Résumé

La « neutralité du net » est une légende urbaine

Puisqu'on parle de fake news ces derniers temps, on peut plutôt constater qu'il en existe de plusieurs sortes, canulars ou escroqueries, légendes ou délires, qui se fondent toutes sur la crédulité ou l'ignorance, mais qui présentent aussi parfois la particularité que certains de ceux qui les diffusent initialement finissent parfois par les croire eux-mêmes.

On peut dire que la « neutralité du net » appartient à cette sorte de légende urbaine de l'Internet qui subit la malédiction de l'ignorance de l'informatique dont l'origine se perd dans la nuit des temps des années 1950-1980, entre l'apparition des gros ordinateurs et celle de la micro-informatique. La véritable raison en était le fossé entre les informaticiens et les profanes, soit que les premiers en profitent pour arnaquer les clients (en exagérant les délais par exemple), soit du fait de la faible capacité pédagogique des ingénieurs (à supposer qu'ils en aient le souci). La micro-informatique puis Internet ont vulgarisé cette compétence, mais les incompréhensions subsistent, en particulier chez les politiques, qui s'obstinent à n'y rien comprendre et à reprendre les mythes qui circulent dans le grand public, la plupart du temps parce qu'ils en partagent la croyance. Les rares exceptions n'y changent rien du fait de la démagogie constitutive de leur noble sacerdoce.

On a un peu le même phénomène avec les cookies. L'ignorance de l'informatique par les législateurs a donc imposé de les accepter explicitement à chaque accès à un site (comme si on pouvait les refuser) alors que les bons usages, sur Internet, consistent plutôt à ne pas emmerder les utilisateurs avec des bandeaux ou des pop up qui bouffent une partie de l'écran. Il faut savoir ici que les cookies servent simplement à conserver sur l'ordinateur personnel les informations nécessaires pour reconnaître l'utilisateur d'une page à l'autre (car la connexion par le protocole Internet n'est pas permanente contrairement au téléphone). Sinon, par exemple, il faudrait retaper son mot de passe pour chaque page pour les sites avec abonnement.
L'utilisation de ces informations pour les publicités n'est possible efficacement que si le site consulté possède des données personnelles, ce qui suppose donc un abonnement à un moment quelconque. Le problème concerne surtout ceux qui ont abonnement gmail, qui appartient à Google. Le moteur de recherche peut donc suivre toute la navigation et mieux cibler les publicités. Mais on constate que l'intelligence artificielle a encore des progrès à faire sur le sujet quand on voit les pubs qu'on nous propose.

Disons-le franchement, la neutralité du net relève plutôt de l'escroquerie de la part des spécialistes qui la défendent, mais les couillons militants de cette cause finissent aussi par croire à leurs mensonges. Comme souvent, l'illusion repose sur des jeux sur les mots, ici l'usage du terme neutralité, dont il faudrait quand même remarquer que la plupart de ceux qui la défendent bec et ongles affirment d'habitude qu'elle n'existe pas ! Cette contradiction devrait quand même éveiller les soupçons, si le principe de l'illusionnisme n'était justement pas d'opérer une anesthésie du sens critique en jouant sur la confusion mentale.

Le prix au kilo

La neutralité du net ne concerne pas les contenus, mais le débit. Le seul problème vient du fait que certains contenus bouffent toute la place dans les tuyaux et certains refusent qu'on les fasse payer plus. Au début de l'Internet, le débit des modems était très faible (28 Kbits/seconde) alors qu'aujourd'hui on a l'ADSL (10 à 40 Mbits/s) et la fibre optique (100 à 500 Mbits/s), soit environ mille et dix mille fois plus. L'inconvénient est que l'augmentation du débit dans ces proportions époustouflantes a incité les sites à ajouter des images, du son et de la vidéo.

Précédemment, à cause du faible débit les réseaux n'affichaient que du texte, comme le Minitel. On se souvient des graphiques faits avec des lettres sur le même principe que les émoticônes comme :-) ou :-( qui sont précisément remplacés aujourd'hui par des vraies icônes. À l'époque, on trouvait aussi des dessins et images entières faites de caractères typographiques, selon un genre plus ou moins sophistiqués d'« art ASCII »

Il ne faut pas oublier qu'Internet fonctionnait à l'origine au format texte avec : 1) l'email ; 2) les newsgroups (discussion sous forme de texte sur des sujets souvent liés à l'informatique) ; 3) le « chat » (« bavardage » en direct en anglais, aussi sous forme texte, comme dans les différents services de messagerie, sur Facebook ou autres) ; 4) « FTP » (« File Transfer Protocol » pour l'envoi des fichiers) ; et 5) « Gopher » (l'ancêtre du Web, sous forme de texte). Plus tard, le Web (inventé au CERN par Tim Berners-Lee), ainsi que le navigateur Netscape ont offert la possibilité d'ajouter des images aux pages de texte des sites internet. C'était le Web 1.0 avec la grande époque des sites personnels. Le Web 2.0 a surtout consisté en pages dynamiques qui permettaient l'interaction (commentaires, wiki) et les réseaux sociaux, depuis 2005, ont surtout consisté à réunir toutes ses fonctions sur le Web (qui est devenu synonyme d'Internet).

Le principal effet a été de permettre à tout le monde de participer alors que les sites Web 1.0 exigeaient de s'y connaître en informatique. Du coup, cela a contribué à faire exploser le trafic, spécialement du fait que la photo et la vidéo numériques se sont généralisées et que des services comme Facebook (crée en 2004-2005), YouTube, Instagram, etc., ont incité à publier toujours plus d'images et de vidéos.

On peut voir dans le tableau ci-dessous la comparaison du poids en kilos et mégas octets des textes, images, sons et vidéo, et le facteur de charge pour les tuyaux qui transportent les flux de données toujours plus importants sur l'Internet.

Nature Caractéristiques Poids Facteurs
:-) texte 3 octets 1
image 800 octets 260
Texte 1 page sans images + les codes de mise en page 2-3 Ko 1
(30-60 pour 1 h)
images 10x15cm
faible définition
20-50 Ko 10
images 20x30cm
haute définition
200-500 Ko 100-250
Audio chanson 3 mn 3 Mo 1000
Audio radio une heure 10-50 Mo 3.000-15.000
Vidéo 10 secondes 1 Mo 300
Film 1 h 30 360 Mo 120.000

La capacité de débit a augmenté énormément depuis l'origine, mais au final tout se concentre sur des goulets d'étranglement (c'est d'ailleurs pour cela qu'on augmente le débit). Si beaucoup d'utilisateurs téléchargent du son ou des films différents en même temps, les débits s'ajoutent contrairement à la télévision pour laquelle le débit est fixe (mais pour laquelle les fournisseurs d'accès saturent quand même les tuyaux en proposant des centaines de chaînes). Si tout le monde utilise en même temps un service de vidéo à la demande, cela revient bien à cumuler les débits maximaux.

Les vrais opposants à la « neutralité » du net sont donc simplement les fournisseurs d'accès (Free, SFR, Orange, etc.) qui paient le trafic à la quantité aux grands opérateurs internationaux, tandis que l'usage s'est développé de faire payer leurs clients au forfait. Ce problème n'existait pas au début de la généralisation d'Internet, dans les années 1995 et suivantes, parce que le client payait alors au débit, comme pour un abonnement téléphonique (qui tend à être aussi payé au forfait aujourd'hui).

Le problème du forfait Internet (pas complètement pour le téléphone qui définit plusieurs niveaux) est que ceux qui consomment peu paient donc pour ceux qui consomment beaucoup. Même si les écarts entre particuliers peuvent être immenses, on peut penser qu'en moyenne cela revient au type d'écart qu'il existe entre les forfaits du téléphone. Cela peut être déjà beaucoup plus important pour les grandes entreprises, mais ceux qui bénéficient surtout de cette gratuité du trafic sont les géants du net qui diffusent de la vidéo.

Il faut ajouter que la majorité du trafic sur l'Internet, on parle de plus de 90 %, est constitué de publicités, toujours plus envahissantes et faites de vidéos toujours plus longues qui se chargent et se déclenchent automatiquement. Quand on ne veut pas payer au vrai prix les services qu'on consomme, les sites Internet ajoutent de la pub. La neutralité du net, c'est la possibilité de balancer de la pub en pagaille pour des sites gratuits. Cela signifie donc au final qu'on paie donc 90 % d'abonnement en trop qui vont dans la poche des GAFA parce qu'ils monopolisent les revenus de la pub Internet. C'est une partie de ces revenus que veulent récupérer les fournisseurs d'accès en faisant payer davantage ceux qui réclament un plus gros débit.

On ne peut pas dire qu'on est contre la pub à propos des cookies et dire qu'on est pour la neutralité du net en prétendant à une forme de censure ou de sélection des petits au profit des gros. Ce serait plutôt le contraire. Dire que les petits sites passeront après les gros signifie simplement qu'il y aura un tarif lent et un tarif rapide. La faible rapidité des petits sites correspond simplement au fait qu'ils ont moins de données à faire passer, parce qu'ils ne peuvent pas vivre avec la pub qui ne rapporte presque rien par internaute. Avec une différenciation des vitesses, les petits sites se chargeront tout à fait normalement puisqu'ils sont beaucoup plus légers.

Bref, on comprend donc bien que les GAFA défendent la neutralité du net, et on imagine que les internautes qui la défendent aussi sont des lobbyistes ou des grands couillons qui ne comprennent pas ce qu'ils disent eux-mêmes et trompent les gogos ! C'est l'essence de la politique, pour laquelle on se demande en permanence si on a affaire à des cons ou s'ils le font exprès (sachant évidemment que s'ils le font exprès, c'est bien des cons).

Jacques Bolo

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