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Femmes - Janvier 2017

Conte immoral féministe

Résumé

Une certaine victimisation féminisme aboutit à des résultats contradictoires. Il faudrait quand même s'en apercevoir !

Dans ce contexte de post-vérité et de complotisme, on en vient à douter de tout. La revue en ligne Slate a publié un conte féministe qui m'a mis la puce à l'oreille. La journaliste de Slate, Charlotte Pudlowski, l'introduit en citant l'écrivaine et réalisatrice Virginie Despentes, qui parle « des mécanismes d'oppression que l'on ressent, sans forcément l'intellectualiser ou l'analyser, quand on est une femme [...pour...] plaire aux hommes », dont il découle qu'« entre la féminité telle que vendue dans les magazines et celle de la pute, la nuance [lui] échappe toujours ». Bien que spécialiste du sujet, Despentes confond peut-être sexualité et sexisme. D'autant que celles « qui couchent avec des hommes vieux, laids, chiants, déprimants de connerie, mais puissants socialement » ont bien effectivement tendance à faire la pute.

De fait, l'histoire en question : « Un soir, Ariane a rencontré un homme qui l'a poussée à faire un choix délicat », un livre audio d'« audible.fr » confirmerait plutôt le diagnostic putassier (au lieu d'évoquer le drame cornélien du « Choix de Sophie » implicite au titre. Faut pas déconner non plus !).

L'histoire se présente comme un témoignage audio assez réaliste, quoique peut-être un peu trop écrit, sur les mésaventures d'une jeune fille qui nous raconte ses ambitions contrariées de comédienne. Après avoir évoqué une enfance au Mans, comme modèle d'ennui provincial, illuminée par des cours de danse et une sélection à dix ans pour un casting d'un film institutionnel d'EDF, finalement annulé, Ariane se console en brillant dans des cours de théâtre. De retour à Paris où elle était née, elle a l'impression d'avoir des années de retard, se croit bonne parce qu'elle a été présélectionnée pour une pièce, mais s'aperçoit que les autres sont plus fortes et plus motivées : « première au Mans, dernière à Paris », d'autant qu'elle ne veut pas abandonner ses études.

Un jour, Ariane croit se faire draguer dans le métro par un Éric Magnum moche qui lui propose un casting. Elle le snobe, mais le revoit au théâtre où elle allait. Se dit qu'elle a raté sa chance. L'aborde à nouveau, et il lui donne un contact pour une comédie musicale. Prise de doutes, elle ne va pas au rendez-vous, mais voit ensuite le nom dont le mec parlait sur une affiche. Elle téléphone en s'excusant. On lui donne rendez-vous dans un café des Champs Élysées. L'homme lui explique un principe de recrutement systématique des comédiennes en échange de faveurs sexuelles.

Bon. Dans une interview où on lui demandait si la particule nobiliaire était utile dans le show-business, l'actrice Charlotte de Turckheim avait répondu que la « partie cul » est fondamentale dans ce milieu. On le savait. L'originalité de l'épisode raconté consiste à insinuer qu'un système de rabatteurs professionnels se chargerait du recrutement des seconds rôles en se payant sur la bête. On avait tendance à penser que le principe devait être plus spontané et plus direct, la célébrité servant de ticket d'entrée, quoiqu'il puisse évidemment y avoir toute une hiérarchie d'intermédiaires qui se servent au passage. Naïfs que nous étions, comme le mec le susurre à Ariane. On voit toute la différence entre le théâtre amateur et professionnel.

Le problème de cette histoire est que cela suppose donc que tous les acteurs et toutes les actrices ou presque sont des putes. C'est possible. La concurrence est forte. Il faut payer de sa personne. Mais c'est un peu contradictoire avec ce qu'Ariane dit elle-même de son niveau inférieur en comparaison des filles qui travaillent plus qu'elle ou des Parisiennes qui écrasent les petites provinciales. À moins de réduire la motivation au tripotage.

C'est bien ce qu'il semble, à entendre l'historiette et sa conclusion. Tout au long du récit, Ariane semble considérer qu'il ne faut pas rater sa chance. Elle mise davantage sur un contact personnel que sur ses qualités qu'elle évalue inférieures à celles des autres actrices. C'est assez concevable, mais ça s'annonce mal. Elle vise donc bien à prendre la place d'une fille plus compétente alors même qu'elle prétendait croire que les agents font le contraire. Le mec est naïf de croire qu'elle est naïve. D'ailleurs, elle hésite. Elle se demande si elle a mis un sous-vêtement assez sexy. Despentes parlait bien de la féminité pute des magazines féminins.

Le féminisme contemporain n'est pas assez « dialectique », comme on disait dans le temps. Certaines jeunes femmes ont dû l'apprendre dans les magazines féminins. La réalité de la séduction est que les filles cherchent surtout à plaire aux hommes davantage que leurs concurrentes, comme pour un casting (à part que c'est exactement symétrique du côté des hommes, contrairement au casting). Houellebecq parlait d'« extension du domaine de la lutte » en ce sens. Ce qu'il faut comprendre, c'est que la femme est une louve pour la femme et que le féminisme, c'est le contraire (comme on le disait de l'homme et du communisme, au temps de la dialectique). On rigolait bien, à l'époque.

Ariane continue son histoire et le type se barre en lui disant : « Tu n'es pas prête. [...Et...] Il ne paye même pas mon café, comme un connard » (comme disent les putes). Le discours de nos jeunes féministes est un peu naïf en associant le féminisme hard de Despentes et le pathos de cette histoire. Bon, tant que ça marche, pourquoi se gêner ! Ce discours se ridiculise dans la mesure où Ariane reprend la doxa américaine de la responsabilité personnelle et acquiesce : « je n'étais pas prête, je n'avais pas les épaules ». Bon, c'est sûr qu'il faut savoir ce qu'on veut. Mais justement, il faut aussi assumer ses choix : on couche, on l'assume, on couche pas, on l'assume aussi.

Mais surtout, la gamine du conte semble croire qu'actrice c'est rigolo tous les jours et que leur job n'est pas souvent routinier ! C'est plutôt ça la naïveté bling-bling qui idéalise ces professions du show-biz : « Après, j'ai fait des sciences humaines. J'ai cherché le métier le plus chiant du monde, et je l'ai trouvé. [...] Mais la vérité, je crois, c'est que je n'étais pas à la hauteur ». Une conception désabusée s'est diffusée selon laquelle il faut être assez pute pour réussir ou pour mériter d'être actrice, qui sont donc de putes.

À la fin de l'écoute de cette histoire, j'ai d'abord pensé à un conte moral, comme celui pastiché par Victor Hugo, et chanté par Brassens, La légende de la nonne, dont « Saint Ildefonse, abbé, voulu qu'afin de préserver du vice les vierges qui font leur salut, les prieures la racontassent dans tous les couvents réguliers. » Mais après réflexion, je me dis que c'est plutôt un scénario de film porno soft (ou hard selon les péripéties ajoutées) qui n'a pas obtenu l'avance sur recette et qui a été rewrité pour le fourguer aux féministes de magazines féminins. J'hésite entre une nouvelle de Virginie Despentes et un plan cul subtil des mecs en question pour recruter celles qui ont envie d'être à la hauteur. Bon, c'est aussi peut-être juste une pub pour des sous-vêtements un peu pute.

Forcément, c'est comme ça que ça marche, la dialectique !

Jacques Bolo

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