Comme chaque année, en juin, le bac philo a donné lieu à son lot de clichés pour ce rite de passage républicain, parmi lesquels l'inévitable question de savoir à quoi sert la philo, avec la réponse tout aussi rituelle : « La philosophie nous apprend à penser par nous même. »
- Surtout pas, malheureux !
Si vous voulez avoir une bonne note, il ne faut surtout pas exprimer des idées personnelles. La rengaine précédente permet de constater que non seulement il n'y a rien de personnel dans la philo, mais qu'elle consiste à ressasser la même chose tous les ans, à date fixe ! Au passage, on notera aussi que la prétention de la philosophie de se démarquer des idées reçues est prise en défaut. Ne parlons même pas de la capacité d'interrogation.
C'est d'ailleurs parfaitement normal. S'il suffisait de réunir cinquante lycéens dans une salle d'examen pour résoudre des questions philosophiques plus ou moins insondables, il y a longtemps qu'il n'y aurait plus de problèmes dans le monde.
Ce qu'on demande aux candidats au bac, c'est de répondre aux questions du sujet, ou de faire le commentaire du texte proposé, en produisant une argumentation structurée et en utilisant des références historiques fournies au cours de l'année. D'ailleurs, tout le monde sait bien qu'il existe des « corrigés du bac » qui fournissent un modèle qu'il suffit de reproduire servilement pour ceux qui ont le plus de mémoire. À la rigueur, la touche personnelle consistera à faire en sorte que ça ne se voit pas trop.
Pour ceux qui ont suivi pendant l'année, et qui auraient (par malheur) une capacité d'interrogation qui frôle le mauvais esprit, il serait possible d'envisager que ce mythe des idées personnelles pourrait relever d'une sorte de réminiscence platonicienne. Le professeur pourrait se prendre pour un Socrate qui fait accoucher aux jeunes esclaves les idées présentes dans leurs esprits de toute éternité. MDR !
Avec « penser par soi-même », pour ceux qui auraient encore plus mauvais esprit, et des références plus récentes, on pourrait parler aussi d'un bon exemple de « double contrainte. » L'école de Palo Alto utilisait ce terme pour désigner des injonctions contradictoires qui provoquent des névroses. Le meilleur exemple consiste précisément à dire « soit spontané » et de reprocher ensuite de ne pas l'être réellement si on fait des efforts en ce sens. Cette situation concerne particulièrement les environnements pathogènes dans le cadre familial ou social (pays totalitaires, asile, école...).
Je me souviens qu'en classe de seconde, je m'étais amusé à souligner le paradoxe « sujet libre » dans une dissertation de français (et non de philo). J'anticipais les questionnements inutiles comme exercice de style.
On est bien dans un exercice très contraint. Il faut en être conscient. Et ne pas se laisser avoir par des rengaines dont on se demande si le but n'est pas de semer la confusion chez ceux qui, comme disait Bourdieu, n'auraient pas les codes. L'erreur consiste à croire qu'ils sont innés ou transmis implicitement, alors qu'il suffit de les apprendre, comme le reste. C'est ça que les professeurs sont censés enseigner, non ? Mais apparemment, ça ne rentre pas.
Jacques Bolo
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