En plus de la déculottée conjoncturelle du PS, les élections municipales des 23 mars et 30 mars 2014 annoncent-elles un basculement majoritaire qui supprimerait le bipartisme ? C'est évidemment ce que souhaitent les petits partis qui ont tendance à considérer leur progression comme structurelle. Ce ne serait pas forcément très significatif si le Parti socialiste n'avait quand même pas perdu un nombre aussi important de municipalités. La défaite mine la base militante du socialisme municipal dans les collectivités locales. Il va falloir recaser beaucoup de monde.
Le score du Front national lui a permis d'asseoir sa légitimité par la conquête de quelques municipalités importantes. Le front républicain a fait long feu. Sans l'admettre, la droite ne veut plus se couper du report de voix des électeurs FN, qui n'est pourtant pas garanti. Mais le FN n'a souvent gagné que dans les cas de triangulaires, même si son score s'est amélioré. L'autonomie de ce parti ne constitue cependant pas une nouveauté. Son problème est plutôt son isolement, revendiqué, qui exige de traiter à ses conditions. Structurellement, bien qu'il soit pourtant assez composite lui-même, le FN veut tout le pouvoir, quand la politique est faite de coalitions.
Bayrou, qui avait appelé à voter Hollande, a repris langue avec ses anciens camarades de l'UDI et de l'UMP, et il a passé des accords avec la droite. Sa capacité de nuisance a payé, mais il n'a pas encore été accepté comme leader du centre. Il a une longueur d'avance pour ce poste, mais l'intégrité de son mouvement est compromise. Ses partisans en provenance de la gauche peuvent se sentir lésés. La véritable question est celle de l'autonomie d'un centre-droit favorisé par la déconfiture de l'UMP : les guerres de succession favorisent le fractionnement et la débandade face à la machine à perdre.
La véritable nouveauté vient des écologistes. Outre les ententes qui leur ont permis d'obtenir certaines municipalités, le candidat écologique Éric Piolle (EELV) a conquis la ville de Grenoble malgré le maintien de l'ancien maire socialiste Jérôme Safar qui n'acceptait pas de se désister, bien qui soit arrivé en seconde position. Situation inverse et plus déstabilisante, à Villejuif, certains écologistes conduits par une tête d'affiche du parti, Alain Lipietz, se sont alliés à la droite pour battre un candidat communiste. Outre l'existence d'autres courants écologistes, ce basculement d'alliance est aussi un signe d'autonomie qui lance un avertissement aux partenaires qui les prendraient un peu trop facilement pour des godillots.
L'intérêt de cette situation nouvelle est que les partis de gouvernement traditionnels ne bénéficient plus de la prime majoritaire qui leur assurait des ralliements automatiques. Le FN, Bayrou et les écologistes ont pris leur autonomie et peuvent l'emporter. Ils savent désormais que le jeu est ouvert et pourront poser leurs conditions dans le cadre des alliances habituelles ou de rupture. L'important de la situation est précisément qu'aucun parti n'étant sûr de l'emporter, chacun sera obligé de négocier réellement pour constituer des coalitions. Le véritable jeu politique peut reprendre.
Mais le biais du scrutin majoritaire persiste. Dans les élections municipales des villes de plus de 1000 habitants, la liste arrivée en tête au second tour récolte la moitié des sièges de conseillers municipaux, plus le pourcentage de conseillers correspond à celui de son score. On est quasiment dans un système où le « winner takes all ». Si la participation est faible, le maire ne représente presque rien.
Les grands partis actuels avaient mis ce système en place parce qu'ils en bénéficiaient. On peut espérer qu'ils vont le remettre en question maintenant qu'ils risquent de tout perdre. C'est ce cadre hégémonique qui a sans doute créé l'ambiance présidentialiste bonapartiste qui règne en France. Comme, progressivement, le socialisme municipal en avait été le bénéficiaire principal, la gauche ne s'en plaignait pas. La démocratie interne des partis en pâtissait, parce que cela permettait aussi d'éliminer les tendances minoritaires du fait que les élus s'entouraient de militants à leurs ordres.
Bien que socialiste réformiste, Michel Rocard avait démissionné parce qu'il s'opposait à la proportionnelle. Lui-même étant victime de la tendance majoritaire du PS, on peut déplorer qu'il semble pourtant promouvoir une totale hégémonie. Cette génération, sans doute sous l'influence de la tradition organisationnelle du Parti communiste, même pour ceux qui s'y opposaient, imitait ce « majoritarisme » (traduction littérale du « bolchevisme » russe). C'est la dictature de la majorité, faute d'être celle du prolétariat ou des soviets.
L'expérience historique a montré, en URSS comme dans la cinquième République, en France, qu'il vaut mieux mettre en place un système de contre-pouvoirs. On en est là.
Jacques Bolo
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