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Femmes / Conneries - Mars 2013

Travail dissimulé ?

Résumé

A l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes, la question du partage des tâches ménagères donne lieu à des statistiques biaisées. On commence à avoir l'habitude.

La journée internationale des droits des femmes, entre autres clichés et inexactitudes déjà signalées sur les inégalités de salaires (moyennes globales et non « à travail égal »), aura aussi ressassé la question des inégalités de répartition du travail domestique. Là aussi, il y a quelque chose qui coince. Selon des données de l'INSEE (« Le travail domestique : 60 milliards d’heures en 2010 »), la moyenne générale hebdomadaire est de 23 h pour les femmes et de 9 h pour les hommes (en couple, sans enfants) et respectivement 34 h et 18 h pour les couples avec enfants. Quatre heures et demie ou sept heures et demie de travail domestique par jour par foyer ? Ça fait beaucoup !

Certes, je ne sais que trop bien que les femmes, avec leurs quinze enfants, doivent aller au lavoir et préparer la soupe au lard (quand y en a) sur un poële à charbon qu'il faut recharger sans arrêt. On trie les lentilles, on pèle les pommes de terre (pour nourrir les lapins avec les épluchures). L'homme va chercher le charbon à la cave ou coupe du bois. Il faut aller chercher l'eau au puits ou à la fontaine. Il faut aussi repriser les chaussettes, tricoter des chandails pour l'hiver, cirer les galoches, faire briller les cuivres (petit luxe innocent) des bougeoirs, repasser les tabliers des (quinze) petits pour l'école... Et encore, c'est rien ! Quand les gamins travaillaient à la mine, j'te dis pas la lessive ! On rêve du jour où l'on pourra avoir le gaz à tous les étages, comme l'annoncent les utopistes.

Plus sérieusement, l'analyse réelle devrait enregistrer un jour que les femmes ont aujourd'hui moins de deux enfants. Les équipements ménagers et les plats préparés permettent de bâcler les repas qui chauffent sans surveillance, quand on ne les prend pas à l'extérieur. La lessive se fait à la machine. S'il est nécessaire d'aller à l'hypermarché, on fait les courses pour la semaine. C'est à ça que servent les congélateurs et les automobiles. Outre que le charbon provoquait beaucoup plus de poussières, les aspirateurs permettent de faire le ménage plus vite qu'avant. Toutes les tâches ménagères prennent quelques minutes (mettre le linge dans la machine, le plat préparé dans le micro-onde...), une demi-heure au plus.

Est-ce qu'on compte le fait de faire les boutiques dans les tâches domestiques ? Ce sont les "périmètres intermédiaire ou extensif" de l'étude. Même si c'est nécessaire, il ne faut pas exagérer, sinon on peut aussi inclure le cinéma. À la rigueur, on peut considérer que l'amélioration du confort exige plus de ménage, en particulier si on habite un pavillon. Mais si on est un maniaque de la propreté ou qu'on aime refaire la déco, c'est un choix dont on est responsable. Ça compte dans les loisirs. Il en est de même pour les originaux ou les aristos nostalgiques qui retapent des châteaux. Et ceux qui possèdent des logements vraiment plus grands sont aussi suffisamment riches pour se payer des domestiques.

On s'aperçoit aussi que les couples se partagent inégalement le travail domestique sur la base 3 h/1 h ou 5 h/2 h 30. Trois ou cinq heures de travail domestique par jour pour la femme ! Elle fait le ménage pour pas s'emmerder ou elle compte Les feux de l'amour dans le total ? Et le mec à encore une ou deux heures de job à tirer ! Il faudrait quand même que les sociologues stagiaires martiens qui produisent les stats soient un peu au fait des coutumes terriennes.

Bon. Je suppose que la journée des femmes au foyer avec plusieurs enfants (non distinguées dans l'étude) influencent les moyennes. Ce n'est pas complètement illégitime, mais dans ce cas, il ne faut pas l'utiliser pour une comparaison avec la participation du mari. Si une femme au foyer garde les enfants au lieu de les mettre à la crèche, objectivement, il s'agit pour la femme de son travail principal, et elle ne travaille donc que six heures au lieu de 7 h 30 + 1 h 30 pour le mec (à supposer que ces chiffres soient exacts, ce qui est peu probable). Plus généralement, cette étude concerne plutôt l'activité quotidienne que le travail. (L'étude considère le travail domestique comme une richesse à comptabiliser. Ce n'est pas faux. Mais le paiement est dans l'échange).

J'avais déjà montré que les rituelles comparaisons de salaires pour la Journée internationale des droits des femmes étaient systématiquement biaisées. La raison fondamentale me paraît être une incompétence totale. Certains croient bien faire, mais ils se tirent une balle dans le pied. On raisonne avec des clichés anciens qu'on prétend combattre, mais qu'on reproduit en assignant aux femmes un rôle de pleurnicheuses. On alimente une guerre des sexes qui n'a pas lieu d'être (ça vaut bien ceux qui entretiennent le conflit des civilisations).

Les politiques s'en servent par démagogie. Le principe consiste à trouver des sujets sur lesquels ils ne risquent pas d'être contredits, parce que tout le monde se dégonfle. Pourtant, les hommes politiques sont bien les premiers à contester sans cesse les compétences des femmes et à ne pas les traiter en égales. Les femmes politiques sont piégées. Ce sont aussi des politiciennes elles-mêmes. L'égalité est acquise sur ce point. Elles ne vont pas hésiter à rabâcher des conneries tant que ça rapporte.

Mais c'est peut-être simplement un manque d'imagination de part et d'autre. Le problème des rituels qui ne correspondent plus à la réalité est que les véritables problèmes subsistent. L'absence de relation entre le discours et le réel est d'autant plus grave quand il s'agit de sociologues professionnels qui commettent donc une forfaiture. Quand tout le monde bidonne et tout le monde sait que tout le monde bidonne, jeu social nécessaire jusqu'à un certain point, il ne faut pas s'étonner de la perte de confiance. Seuls les escrocs en profitent.

Jacques Bolo

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