EXERGUE
Depuis 2005
Conneries / Culture - Mars 2012

Plagiat

Résumé

On m'accuse de plagiat, en contestant, en plus, que j'en aie moi-même été victime ! La connerie n'a pas de limite.

J'ai été accusé de plagiat, par certaines personnes qui se sont réjouies de me démasquer, à propos du titre de mon blog sur Médiapart : « Si vous êtes d'accord avec moi, c'est que j'ai dû me tromper quelque part ». Le fait est que c'est exactement la même idée que le mot d'Oscar Wilde : « Quand les gens sont de mon avis, j'ai toujours le sentiment de m'être trompé ». C'est troublant.

Ma réponse

Dire que c'est un plagiat signifie que j'ai volontairement modifié la formulation pour en dissimuler l'origine, comme dans les affaires récentes de Patrick Poivre d'Arvor et Joseph Macé-Scaron. C'est faux. Je me suis demandé quel titre utiliser. Est-ce que j'allais utiliser le titre de ma revue « Exergue.com » ? Et j'ai plutôt décidé de faire référence au comportement que j'ai constaté sur Médiapart, où il me semble que les intervenants recherchent un peu trop l'approbation. Comme ce n'est pas mon cas, et que j'aurais plutôt la faiblesse inverse, ce titre m'est venu spontanément.

La question est donc : est-ce une réminiscence ou un plagiat ? Ceux qui considèrent que c'est un plagiat ont douté que je puisse avoir cette idée moi-même, tout en ironisant paradoxalement sur ma mémoire. Il faut choisir. Le phénomène de réminiscence existe. Je connais Oscar Wilde, que j'ai lu ou dont j'ai vu les pièces à la télé ou au cinéma. Mais ça commence à dater de plus d'une trentaine d'années, avec quelques piqûres de rappel. Je suis aussi amateur de mots et citations de ce genre, dont j'ai relu ou découvert certaines sur Internet, plus récemment. J'ai donc bien pu rencontrer cette citation.

Mais je ne m'en souviens pas. Et je prétends donc avoir réinventé la citation, qui correspond à mon caractère. Je me suis félicité, auprès d'un de mes contradicteurs, de partager avec Wilde cette tendance à ne pas rechercher l'approbation. En outre, je cite beaucoup. On me l'avait même reproché jadis. Si je m'étais souvenu de la citation de Wilde, j'aurais été ravi d'indiquer son nom pour lui rendre hommage. Je reconnais bien évidemment l'antériorité de la formulation de Wilde sur la mienne. Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement. Mais quand on me somme d'indiquer qu'Oscar Wilde est l'auteur de mon titre, je ne vais pas le faire, parce que c'est faux !

Réinvention ou réminiscence

La question soulevée dans cette affaire est la possibilité de réinvention. Pour un texte court, il est évidemment possible d'avoir la même idée. Comme on parle actuellement de la hiérarchie des civilisations, j'ai eu l'occasion de mentionner cette question à propos de Lévi-Strauss dont j'ai commenté le livre Race et histoire. Sa position de l'époque concernait le sentiment de supériorité de l'Occident, essentiellement du fait de l'avance technologique, dans les années 50. Mais en fait, il s'opposait surtout au diffusionnisme antérieur (souvent extrémiste) qui tendait précisément à nier cette possibilité d'autonomie des cultures. Selon le modèle structuraliste, Lévi-Strauss affirmait la possibilité de recombinaison et de réinventions ou de voies différentes pour arriver au même résultat formel.

Cette possibilité de réinvention n'est d'ailleurs pas toujours si compliquée. À l'occasion de cette polémique, j'en ai profité pour revoir d'autres citations d'Oscar Wilde sur Evène. J'en connaissais évidemment plusieurs, entre dandysme et cynisme ou jeux de mots un peu formels, en reconnaissant son style, plus que me souvenant explicitement qu'il en était l'auteur. J'aurais pu en attribuer certaines à Sacha Guitry. Certaines citations sont incontestablement plus accessibles à la réinvention permanente : « Définir, c'est limiter », qui est une base (étymologique) de la philosophie (outre un autre sens possible) ; « La vie est une grande désillusion » qui renverrait au film de Renoir ; on remarque que Vanneste aurait pu dire : « Si Adam avait été homosexuel, personne ne serait là pour le dire ». Un antimilitariste peut trouver banal : « Une chose n'est pas nécessairement vraie parce qu'un homme meurt pour elle ». J'aime bien : « La nouvelle génération est épouvantable. J'aimerais tellement en faire partie » pour embêter Finkielkraut.

Wilde a dit aussi « Le cynisme consiste à voir les choses telles qu'elles sont et non telles qu'elles devraient être » que j'aurais attribué (hors « le cynisme ») à Auguste Comte ou au saint-simonisme, comme emblème des sciences empiriques, par opposition à la philosophie spéculative. En fait, il se trouve que je l'ai utilisée souvent comme définition du positivisme. Après une recherche sur Internet, il me semble que la prémisse de cette citation est bien antérieure à Wilde (1856-1900), puisqu'elle est de Buffon (1707-1788) : « La vraie philosophie est de voir les choses telles qu'elles sont ». Ce qui correspond bien à l'idée de « philosophie naturelle » que je mentionnais. On pense aussi à Nietzsche. Et j'ai trouvé aussi sur Internet : « La folie, c'est de voir les choses telles qu'elles sont et non telles qu'elles devraient être » (« selon Cervantès cité par Brel »), ce qui est un autre retournement. On tombe aussi sur des références bouddhiques ou hindouistes bien plus antiques, mais qui signifient peut-être aussi, plus classiquement, qu'il ne faut pas se fier aux apparences.

Bref, comme en cuisine moderne, on peut revisiter la tradition. Je ne parle pas de justification du plagiat, de l'intertextualité, mais bien du fait que les mêmes causes produisent les mêmes effets. On peut d'ailleurs reconnaître du positivisme dans ce structuralisme. Comme je l'ai dit, mon individualisme et mon goût des mots d'esprit m'apparentent à ce courant philosophico-littéraire de Voltaire à Guitry, en passant par Wilde, qui a nourri mon adolescence, assez prolongée. Mon titre utilise une forme de contre-pied fréquent dans ce genre de traits, que je suis effectivement capable de produire, et je l'ai fait souvent. Toujours en référence à l'intelligence artificielle, on peut dire que je suis programmé pour produire ce genre d'énoncés.

Imitation de l'antique

L'option inverse qui nie la possibilité de réinvention est que « tout est dit ». De nos jours, c'est rarement une affirmation explicite, comme c'était encore le cas il y a quelques décennies. Selon cette option, on reçoit la connaissance sans possibilité de créer ou de recréer de façon autonome. Dans mon livre sur l'IA, j'ai rappelé qu'on disait aussi cela des êtres humains, quand ses opposants imputaient cette absence d'autonomie aux seules machines. Comme un des mes accusateurs est un pédagogue, il est possible qu'il perpétue, inconsciemment ou non, le dogmatisme traditionnel qui pense que tout nous est apporté, sur une tabula rasa, par nos bons maîtres. Il en découlait aussi l'idée de décadence et celle que les anciens sont toujours supérieurs aux modernes. Mais il est paradoxal d'appliquer cela aux modernes, comme Wilde, même devenus anciens. Cela montre la limite de cette conception. Comme je le disais dans mon commentaire du livre de Lévi-Strauss : « les traditions sont des anciennes nouveautés ».

Il reste qu'on subit évidemment des influences, qu'il est parfois dur de s'en défaire, et qu'on peut donc avoir des réminiscences qui font croire qu'on invente ce qu'on répète. Je pense justement, depuis longtemps, que les traditionalistes sont des gens qui se sont aperçus, comme dans le cas du titre de mon blog, qu'ils étaient moins originaux qu'ils le croyaient. Ils se sont peut-être sentis écrasés par l'immensité de l'accumulation des oeuvres ou du savoir des siècles précédents. Ils n'aspirent plus qu'à transmettre. C'est respectable. Mais ils doivent bien considérer que ces oeuvres ont été créées par ceux qui ne pensaient pas comme eux.

La possibilité de réminiscence nous indique quand même que nous sommes bien dépendants du passé. La question est de savoir jusqu'à quel point. Ma position sur l'intelligence artificielle, signifie bien que je n'aie pas une vision romantique de la pensée humaine. Nos connaissances ou nos pensées sont produites par apprentissage ou confrontation au monde. Notre liberté formelle est limitée par la correspondance de nos idées avec la réalité. Comme les mêmes causes produisent les mêmes effets, il est normal que les époques différentes reproduisent éternellement les mêmes débats pour de nombreux problèmes de l'existence humaine qui passe par les mêmes stades. Il faut enregistrer aussi les nouveautés et l'accumulation des connaissances, mais il existe bel et bien des répétitions.

Je me souviens avoir eu cette impression de réminiscence dans les années 80. En relisant le Discours de la méthode que j'avais lu très jeune, et que j'avais oublié. Je me suis rendu compte que ce texte m'avait plus influencé que je l'aurais cru. J'ai donc certainement eu l'occasion de reproduire inconsciemment des « choses déjà dites » (allusion consciente à un titre de Bourdieu). Il est possible que je reproduise des auteurs qui m'ont marqué, la BD française des années 1960-90, le cinéma international des années 1930-2000, quelques romans policiers ou de science-fiction, les classiques scolaires, la poésie du XIXe, quelques autres auteurs littéraires, la sociologie, la philosophie, l'épistémologie, la linguistique, la psychologie, l'économie, la politique, la presse. Il est possible qu'on retrouve chez moi des idées de certains auteurs de littérature dont j'avais lu à peu près tout (ce qui était disponible en poche) dans ma jeunesse (Agatha Christie, Conan-Doyle, Van Vogt, Asimov, Hesse, Marcel Aymé, Guitry, Borgès, Zinoviev...). Mais comme Wilde n'en fait même pas partie, il est possible que toutes mes idées aient déjà été produites par n'importe quel autre auteur que j'ai lu. D'ailleurs, en rangeant mes cartons de livres, récemment, je me suis aperçu que j'avais oublié en avoir lu de très nombreux (pourtant annotés par moi).

Mais chaque fois que je me souviens de ces influences, je suis content d'en mentionner les auteurs, y compris les auteurs non canoniques, même dans un contexte académique. Ce qui est loin d'être le cas de tout le monde. Je cite souvent Brassens que je connais par coeur, ou la chanson française à texte (Brel, Vigneault, Ferrat, Ferré, Esposito, etc.). J'avais eu, dans les années 80, l'occasion de citer Gotlib et Goscinny dans un exposé de linguistique (à propos de la chanson enfantine des Dingodossiers qui dit « labiscouti » pour « l'habit se coud-il ? »). Je viens juste de parler des bandes dessinées de mon enfance dans un article très récent : « Astérix le Gallo », en ne citant, de mémoire, que ce que je connaissais moi-même d'expérience. Par contre, dans ce même article, je n'ai pas indiqué, volontairement, l'origine d'un slogan de Pilote : « Matin, quel journal ! », que je cite partiellement, comme clin d'oeil réservé à ceux qui l'ont connu. Il me semble que c'est une possibilité admise pour des cas de ce genre (qui ne trompent pas les amateurs) ou pour des citations qu'on estime du domaine public (pour ne pas paraître cuistre). Massé-Scaron a utilisé cet argument, qui me paraît valide quand le contexte indique l'allusion.

Critique

La question de l'influence est quand même un problème plus complexe dès qu'il s'agit d'idées, qui « sont de libre parcours », comme le veut le droit d'auteur. On ne peut pas dire d'un marxiste, par exemple, qu'il plagie Marx. On le pourrait. Mais cela aurait le sens qu'il est un peu trop dogmatique. Dès qu'on débat d'idées, on est souvent dans la redite. Il est difficile d'aller plus loin que les grands penseurs. Si on résume bien une pensée, qui peut d'ailleurs être trop hermétique, c'est déjà une production originale et utile. Je viens moi-même d'entreprendre une lecture ou une relecture des livres de sciences humaines dans le cadre de ma revue Exergue. Je ne me cache donc pas les influences ou les prédécesseurs. Je viens juste de trouver et de commenter un petit texte de Gaston Lévy : Le socialisme et les relations économiques internationales (1925), qui avait la particularité de correspondre assez à mes idées que je venais d'énoncer sur le protectionnisme. À cette occasion, j'ai d'ailleurs envoyé un email au Parti socialiste pour lui demander l'autorisation de mettre en ligne le texte complet, au cas où ils seraient propriétaires des droits au titre de successeur de la SFIO (ils ne m'ont pas répondu, car ils doivent être un peu occupés ces derniers temps. C'est dommage, le sujet est d'actualité). La bibliographie (en ligne) et l'index (non en ligne) de mon livre montre aussi que je cite beaucoup. Mais à me lire, on peut s'apercevoir que je me permets de critiquer les livres dont je parle. Je ne fais généralement pas de résumés. Je fais des commentaires critiques. Je m'approprie les auteurs que je lis et je présente parfois une solution personnelle aux problèmes qu'ils posent, comme je le fais dans le cas de Lévi-Strauss.

En fait, contrairement à Oscar Wilde, je ne recherche pas vraiment l'originalité. Je suis plutôt un individualiste-positiviste qu'un dandy romantique (que je considère comme une pose littéraire biaisée par une idéologie réactionnaire). Qu'on me comprenne bien ! Dans la revue Exergue que j'ai créée en 2005 sur Internet, je prétends bien écrire des choses « originales », c'est-à-dire qui ne sont pas dans les idées dominantes. Si je les trouvais partout, je ne prendrais pas la peine de les répéter, contrairement à ce qui semble être l'objectif de certains. Mon but est de faire entendre un autre son de cloche, d'où le titre wildien de mon blog de Médiapart, où j'estime que le conformisme domine beaucoup trop. Mais je ne prétends pas être le premier ou le seul à avoir produit ces idées. Je recherche la pertinence et les analyses correctes parce que je ne suis pas satisfait par ce que je lis actuellement.

Il m'est même arrivé de confier que j'étais content de savoir que je n'étais pas le premier à dire ce que je disais à quelqu'un qui avait l'ambition inverse. Quand on est hors de l'air du temps, on est parfois un peu angoissé d'être le mouton noir ou le vilain petit canard. Je suis donc particulièrement heureux que quelqu'un que j'aime beaucoup comme Wilde ait eu cette idée avant moi, même si je crains de finir comme lui dans la misère, dans un hôtel de la rue des Beaux-Arts, à Paris (à notre époque, ce sera plutôt en banlieue).

Un vrai plagiat

J'ai par contre été personnellement victime d'un authentique plagiat. On peut considérer que le doctorant qui l'a commis s'est aussi approprié mon travail pour proposer ses solutions personnelles. Mais il n'a pas réinventé une simple petite citation. Dans sa thèse, il a copié-collé une dizaine de pages du premier chapitre de mon livre sans me citer. Je doute qu'il s'agisse de réminiscence, sauf si mon texte l'a particulièrement impressionné et qu'il a vraiment une très bonne mémoire. Après avoir été prévenu et lu la thèse concernée, j'ai présenté une comparaison des deux textes et je l'ai mise en ligne.

Or, il se trouve qu'un de mes contradicteurs considère que je suis coupable de plagiat, mais que je n'en suis pas victime ! Ce qui est une conception de la vérité un peu particulière. Il prend le parti du président de l'université, M. Pascal Binczak qui apporte le soutien de son administration aux professeurs engagés dans un procès contre un de leurs collègues qui a créé un site pour dénoncer les plagiats universitaires : Archéologie du copier-coller. J'ai tendance à considérer cela comme l'institutionnalisation d'une omerta, et pour tout dire, dans ce cas précis, comme une forfaiture. Mon autre accusatrice se réjouit de la leçon qui m'est infligée. Pensez ! Quelqu'un qui a la prétention de se plaindre d'avoir été copié par un universitaire et qui ose ouvrir sa grande gueule. Faut-il y voir la loi du milieu ? L'université en est donc là !

Je pense qu'Oscar Wilde aurait aimé l'ironie et le cynisme de la situation. Je suis sûr qu'il n'aurait pas été étonné. Ce en quoi je reconnais mon maître. (Je plaisante. Wilde a morflé lui aussi). Moi, je n'arrive pas à m'y faire. J'ai beau m'y attendre, je suis toujours déconcerté par les sommets toujours renouvelés qu'atteint la connerie humaine. Il me vient justement à l'esprit une citation d'Einstein sur le sujet.

Jacques Bolo

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