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Politique / Société - Janvier 2012

Génocide arménien

Résumé

Une loi de circonstance sur le génocide arménien montre une fois de plus les contradictions des politiciens et des formalistes. La véritable difficulté est toujours d'accepter d'énoncer la réalité empirique plutôt qu'une norme dogmatique, une langue de bois dans le domaine politique.

Après les promesses de Sarkozy en 2007, et une relance par la gauche (rejetée par la droite au Sénat en 2011), une loi sanctionnant la négation de génocides, dont celui des Arméniens par les Turcs en 1915, a été adoptée à l'Assemblée nationale le 22 décembre 2011, et doit passer devant le Sénat. Elle vise en fait exclusivement la Turquie et le vote de la communauté arménienne de France. À l'époque du référendum sur le Traité constitutionnel européen, en 2005, c'est François Bayrou qui avait attaqué bille en tête sur l'entrée de la Turquie dans l'Union, qui n'était pourtant pas au programme. En période préélectorale, c'est la loi du genre. Têtes de Turcs.

Cette affaire est une plaisanterie. Personne ne nie qu'il y ait eu un génocide en 1905. Même le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, quand il accuse la France d'avoir commis un génocide en Algérie (et ailleurs), reconnaît donc implicitement le génocide des Arméniens par les Turcs. Il faut être logique : à moins de nier lui aussi les crimes de la colonisation, ce qu'il dit est que tous les empires sont impitoyables avec leurs citoyens. En cas de trouble ou sous n'importe quel prétexte, ici communautaire, la technique répressive impériale classique est celle de la terre brûlée. Ce qui est plutôt surprenant est le fait que l'Algérie fasse chorus en semblant nier un génocide au nom d'un autre. Les politiciens sont vraiment tordus ou prennent vraiment les gens pour des imbéciles, en France, en Turquie, ou en Algérie. Mais je soupçonne les autres pays de ne pas trop se différencier sur ce point.

En suivant les liens sur Internet, il semble que la position turque, outre une minoration du nombre de victimes, conteste le terme de génocide, parce qu'en droit international, il implique des réparations territoriales. Comme pour le cas du génocide des juifs par les nazis, on retrouve aussi le débat entre les intentionnalistes, qui soutiennent la thèse de l'intention génocidaire, et les fonctionnalistes qui parlent d'enchaînement de circonstances ou de décisions intermédiaires. Les Turcs soulignent aussi l'influence de groupes de pression des militants arméniens extrémistes qui instrumenteraient leur propre communauté et les pays où il existe une communauté arménienne importante. On connaît le rôle des minorités actives. Mais sur le fond, il y a bien eu des massacres, et personne ne le nie.

En France, ce débat a relancé la question des « lois mémorielles » et de la « liberté pour l'histoire ». J'ai déjà parlé de cette question à propos de Chomsky, et j'ai dit que je ne crois pas au « formalisme » en la matière. La liberté d'expression ne peut pas consister à nier des faits en pinaillant sur la procédure. On peut admettre que ce soit gênant que les députés légifèrent sur ce que les historiens doivent dire. Mais les historiens n'ont qu'à prendre leurs responsabilités. Le problème du négationnisme n'est pas vraiment celui de l'histoire en tant que telle, c'est celui du fait que ceux qui nient les génocides sont généralement ceux qui les approuvent.

Mais c'est trop d'honneur d'accepter de se livrer à des considérations méthodologiques. Il faut traiter les questions pour ce qu'elles sont. Il s'agit ici d'une loi de circonstances qui visent les prochaines élections présidentielles et législatives. La droite peut vouloir récupérer les voix de la communauté arménienne. Mais je doute qu'un arménien de gauche vote à droite sur ce seul critère, d'autant que la gauche ne conteste pas le génocide arménien non plus. Sournoisement, le véritable objectif peut consister plutôt à faire abandonner le vote à gauche de la part des Turcs ou des musulmans français, à supposer qu'ils se laissent prendre à ce jeu. Ce qui est bien possible si on fait monter la sauce, sachant que la gauche s'y laisse prendre à tous les coups. Les intellos finissent toujours par dire une connerie qui déplaît à quelqu'un (inutile de dire que je ne cherche pas à plaire).

Avec cette affaire, on s'aperçoit que les Turcs, les Arabes, ou les « tiers-mondistes », tombent dans le piège en s'enfermant dans une dénégation qu'ils reprochent pourtant à la France. Le problème principal consiste à raisonner en termes nationalistes qui soumettent toujours, au final, l'existence de l'individu au bon plaisir de son gouvernement et entraîne une solidarité complice des peuples, par patriotisme. Cela suffit à expliquer la possibilité de génocide qui ne manque pas de se réaliser dans l'histoire, ici ou là, au gré des tours de rôle dans la puissance.

Conjoncturellement, on constate aussi l'imposture de demander à la Turquie une repentance que la mode actuelle récuse précisément envers les crimes de la colonisation. Ce qui justifie le rappel turco-algérien, malgré sa propre contradiction. On s'interroge d'ailleurs sur la condamnation légale du négationnisme qui offre désormais la possibilité d'engager des poursuites pénales contre la France. Est-ce pour cela qu'on parle de « repentance » qui situe uniquement le propos sur le plan moral ? À ce niveau, j'avais eu l'occasion de citer Marmontel (1723-1799), qui avait tranché la question il y a pourtant bien longtemps : « Toutes les nations ont leurs brigands et leurs fanatiques, leurs temps de barbarie, leurs accès de fureur. Les plus estimables sont celles qui s'en accusent. » C'est valable pour tout le monde.

Jacques Bolo

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