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Société / Politique - Octobre 2011

Théorie du genre

Résumé

La contestation par des députes de droite de la théorie du genre a toute l'apparence du piège à cons pré-électoral pour essayer de racoler les électeurs conservateurs. Mais ceux qui soutiennent cette théorie se perdent dans la mode intellectuelle du constructivisme.

Quatre-vingts députés UMP de la « droite populaire » ont décidé de lancer une polémique sur les manuels scolaires qui parlent de théorie du genre. Ces députés refusent que cette théorie soit enseignée dans les manuels de sciences naturelles. Sur le fond, ils contestent qu'on enseigne aux élèves que le genre sexuel n'est qu'une construction sociale. Cette théorie découle de la fameuse phrase de Simone de Beauvoir : « On ne naît pas femme, on le devient ». La nouveauté est qu'on ne naît pas homme non plus, et qu'on peut naître ni l'un, ni l'autre. D'où l'idée qu'on instillerait de la confusion dans les jeunes âmes. Franchement, si ces jeunes sont perturbés par le fait qu'il existe des transsexuels, c'est qu'ils n'ont pas la télé et, pour tout dire, qu'ils doivent être internes dans une institution religieuse traditionaliste. Si c'est parce qu'on leur dit que la théorie du genre est de la science, c'est que leur positivisme juvénile est vraiment trop sensible ou qu'ils sont beaucoup trop attentifs. Je crois plutôt que la majorité s'en fout complètement.

Inversement, le problème des partisans de la théorie du genre est qu'ils confondent les débats intellectuels avec les questions politiques. Comme je le disais ce mois-ci à propos d'Élisabeth Badinter et la laïcité : « C'est le problème politique actuel. Comme les partis ont tendance à éclater, chaque tendance ou chaque personne au sein de chaque tendance, tente d'imposer ses priorités ou ses lubies à chaque élection nationale. » Mais si on analyse bien cette situation, outre la confusion qui en découle, on assiste de part et d'autre à une tentative d'obliger autrui à se comporter selon certaines valeurs en détournant les institutions au profit de son idéologie.

Sur l'aspect théorique, l'approche « constructiviste » de la théorie du genre est simplement un biais classique des intellectuels qui surestiment l'importance des catégories formelles. Que les rôles sexuels soient construits socialement ne s'oppose pas à la nature, ni ne signifie qu'ils ne doivent pas être marqués. L'invocation relativiste des autres cultures renvoie bien à une sorte de légitimité des choix culturels que, justement, les traditionalistes revendiquent. C'est certain que la théorie du genre aurait plutôt sa place dans un cours de sociologie.

Il faudrait être encore plus formel, outre le possible jeu de mots ou l'ambiguïté sur le « genre » grammatical. Le fait qu'il existe des intermédiaires entre les pôles masculins et féminins relève de la question des « variables continues », alors que la variable « sexe » est considérée habituellement comme une « variable discrète ». Mais la continuité est marginale. Ce qui provoque l'intérêt et le trouble est que la marginalité est simplement intermédiaire (entre les deux courbes en cloche) au lieu de se situer aux extrêmes, comme les géants et les nains pour la variable « taille ». Alors que la taille est une variable naturelle (mesurable) qui superpose les courbes en cloche des deux sexes, le genre est une variable qui présenterait deux courbes successives qui peuvent justifier un marquage variable culturellement. Il faudrait peut-être envisager une typologie de ces « catégories de différences » pour comprendre les réactions à leur égard. Ce serait cela le véritable débat épistémologique.

Cette affaire est surtout un piège à cons dans lequel la gauche se précipite. La droite populaire essaie de faire le coup de George Bush contre Al Gore, quand le gouvernement américain a organisé des référendums locaux sur le mariage gay en même temps que les présidentielles de 2000, pour mobiliser les électeurs conservateurs. Toute la question est de savoir si le timing est correct et si les électeurs n'auront pas envie d'élire un Barack Obama intellectuel au lieu de jouer aux cons. J'ai un doute sur le dernier élément de cette alternative.

Jacques Bolo

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