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Médias / Politique - Mars 2011

C'est la faute des médias

Jean-François Kahn a toujours raison

Une étrange affaire. Le Nouvel Observateur s'est-il livré à l'espionnage industriel, ou au « plagiat par anticipation » ? Dans la livraison de Marianne du 12 mars 2011, Jean-François Kahn se plaint que le Nouvel Obs cite un article qu'il a écrit, mais pas encore publié ! On croit rêver ! Y a-t-il de l'espionnage entre les journalistes ? Bon, en même temps, on s'en doutait un peu, vu qu'ils parlent tous de la même chose au même moment ! Mais on croyait qu'ils pompaient simplement l'un sur l'autre. S'ils posent de micros et emploient des casseurs dignes du Watergate, ils sont trop forts. On ne peut pas lutter !

La polémique porte sur le rôle de l'hebdomadaire Marianne, qui a publié, sous l'égide de Jean-François Kahn, des articles de personnes qu'il estimait « bâillonnées par les tenants de l'idéologie dominante ». Elles sont devenues ce qu'on a appelé, il y a déjà un moment, d'ailleurs, « les nouveaux réactionnaires » et auraient préparé le terrain de la nouvelle stratégie du Front national. Kahn s'en rend compte et s'en inquiète aujourd'hui. Il est un peu lent de la comprenette.

Mais, dans son plaidoyer pro domo, Jean-François Kahn maintient son illusion de leur avoir ouvert ses colonnes au nom de la défense de la liberté d'expression. Ce qui est un peu faux cul. Il ne va pas jusqu'à donner la parole aux négationnistes, par exemple. Les mauvaises langues peuvent plutôt se dire qu'il a simplement cherché à vendre du papier avec des opinions inconvenantes. La provoc paye. Il s'est assez vanté de faire un journal rentable. On peut aussi juger qu'il a cherché à ratisser large et à bouffer à tous les râteliers. L'éclectisme peut aussi se traduire par « défendre la liberté d'expression ». C'est peut-être un genre légitime, à condition de ne pas faire simultanément trop de leçons de morale, ce qui est pourtant le genre de la maison, qui ne s'appelle pas Marianne pour rien. Prétendre être le seul à représenter la République est précisément l'imposture du FN. Bon, ils ne sont pas les seuls non plus !

Contrairement à ce que dit Kahn, on peut penser que les nouveaux réactionnaires concernés (Éric Zemmour, Alain Finkielkraut, Elisabeth Lévy, etc.) ont été encouragés et renforcés dans leurs opinions du fait de trouver une tribune et de se voir offrir une audience sur un plateau. On peut parler de construction de la légitimité de leur discours. On reproche souvent sa complaisance envers le pouvoir à des journalistes comme Jean-Pierre Elkabbach. On se souvient, à l'opposé, de son interview d'Alain Finkielkraut, qu'il a poussé à s'excuser de son attitude dans l'affaire de l'équipe de France black-black-black. J'ai déjà remarqué qu'il adoptait la perspective traditionnellement normative de la part des médias (style O.R.T.F.). Celle de Marianne ne l'était pas. Finkielkraut a d'ailleurs récidivé récemment.

L'été dernier, Jean-François Kahn avait fortement réagi à la stigmatisation des Roms par le président Sarkozy. J'ai montré qu'il s'appuyait exclusivement sur la symbolique antinazie, sans considération de la réalité. C'était déjà étonnant puisque Kahn critiquait ceux qui en abusent. L'anomalie consistait dans le fait qu'il s'arrogeait un droit qu'il déniait aux autres. Voici ce que j'en disais :

« Jean-François Kahn s'apercevrait-il brusquement où cette dialectique conduit ? Il reconnaît pourtant le règne du racisme envers les immigrés exclusivement maghrébins ou noirs (« [un] meurtrier mérite de rester français, même s'il s'appelle Popovitch ; mais [...] s'il s'appelle Rachid, [il] deviendra apatride. »). Car c'est bien de cela qu'il s'agit, puisque « Popovitch » est aussi un « immigré » (avec un nom pareil !). Mais quel est le rapport avec les Roms, car la stigmatisation de Rachid ne date pas du 30 juillet 2010. D'ailleurs, ce serait plutôt un Rom bulgare qui pourrait s'appeler Popovitch ! On imagine que le déclencheur a été la simple prononciation du mot « Rom », puisque les intellectuels français (et étrangers, c'est ça la surprise) ne fonctionnent que par symboles et associations d'idées. »

On sait que Marianne s'est précisément fait une réputation de condamnation du laxisme paternaliste des bobos droit-de-l'hommiste à propos des minorités. Or c'est bien aussi la spécialité des nouveaux réactionnaires en question. On ne peut donc pas dire qu'il existe une différence à ce propos. À une autre occasion, j'avais même révélé le délire de l'auteur d'un article de Marianne, Christian Godin, qui s'était livré à une véritable « chasse aux nègres », en 2007, envers Raphaël Confiant.

Cette fois-ci, donc, Jean-François Kahn se permet de critiquer (enfin) la dérive réactionnaire de ses anciens « pigistes », en enregistrant fidèlement son rôle dans l'affaire. Mais il interdit aux autres de faire la même remarque. Bien que de tradition chrétienne, il n'aime pas la repentance. Sa stratégie est davantage celle des communistes ou des trotskistes qui estimaient être les seuls à avoir le droit de critiquer l'URSS, tous les autres étant d'affreux valets du grand capital. Ce n'est même pas une analogie, puisqu'il nous fait un numéro sur le mode « gauche de chez gauche ». Il retournera le compliment au Nouvel Obs en invitant sa rédaction à faire son « autocritique » pour les : « sympathies assumées à l'endroit de la modernité libérale et du néo-capitalisme financier ». J'ai déjà parlé de la stratégie communiste qui accusait les gauchistes d'être des petits bourgeois, et on connaît celle de l'extrême droite contre la gauche caviar. Kahn est sympa de partager ainsi sa responsabilité dans la montée du Front national, et de ne pas tout garder pour lui.

Si Jean-François Kahn n'est pas un agent dormant (mal réveillé) de l'ancien KGB, il faut donc en déduire qu'il a un peu trop assimilé les pratiques staliniennes d'argumentation qui avaient cours dans sa jeunesse. Comme le Parti communiste, Jean-François Kahn semble penser qu'il avait raison d'avoir tort, puisque c'était pour la bonne cause, et que c'est les autres qui avaient tort d'avoir raison trop tôt.

Jean-François Kahn vient de se lancer dans la politique. Il aurait dû en faire plus tôt. On sait que c'est un type qui hante les plateaux télé depuis longtemps avec un enthousiaste qui fait plaisir à entendre. Il a toujours voulu secouer le cocotier. Mais là, on peut considérer qu'il a merdé, qu'on s'est servi de lui, et qu'il ferait mieux de pas trop la ramener. La question n'est pas de savoir si d'autres sont plus nuls que lui. C'est certain. Le véritable problème est toujours de rendre les gens moins cons. Y a du boulot !

Jacques Bolo

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