Cet article est paru initialement le 9 juin 2010 dans mon blog de Médiapart
Une abonnée de Médiapart qui signe Néfertari a accusé d'antisémitisme, dans un billet de son blog, d'autres abonnés qui avaient « recommandé » (fonction offerte par ce site) un article d'un autre blog de Médiapart. À la lecture des commentaires, comme ce n'était pas indiqué (des fois qu'on puisse être contaminé), il semble que ce soit celui de Fxavier qui se spécialise dans la défense des Palestiniens. Néfertari vise particulièrement une citation qui associe sionisme et nazisme comme deux nationalismes (ce qui relève effectivement du principe des nationalités), suivi d'une phrase un peu bizarre « Face à un moment de vérité, beaucoup d'Israéliens seront contents de laisser le sionisme derrière eux et de rejoindre la famille des hommes », que Néfertari interprète comme disant que « les juifs sont des sous-hommes ».
On est habitué à ce genre de délire interprétatif à propos d'Israël et de l'accusation d'antisémitisme. Edgar Morin avait été condamné pour diffamation raciale le 26 mai 2005, condamnation annulée en cassation le 12 juillet 2006. J'avais écrit un article : « Edgar Morin n'est pas antisémite » où je traitais cette question d'une façon qui s'applique parfaitement ici. D'ailleurs, d'une façon plus générale, si on peut accuser Edgar Morin d'antisémitisme, on peut accuser n'importe qui.
Et plus spécifiquement, Morin était accusé cette fois d'être antisémite parce que l'article incriminé (écrits avec Danièle Sallenave et Sami Naïr) disait « les juifs », au lieu de « les Israéliens », ce qui est bien le même problème de délire interprétatif. Je disais alors :
« Le fait d'avoir semblé généraliser en employant le mot 'les juifs' à la place d''Israéliens' ou d''armée israélienne' semble être la seule base de la condamnation, alors qu'il s'agit d'une figure normale en la matière : on dira bien que « les Américains ont attaqué l'Irak » au lieu de « l'armée américaine, sur ordre du président » (etc.). Le fait que la justice française ait sanctionné ce mode d'argumentation est constitutif d'une erreur judiciaire qui peut relever d'une faute professionnelle devant être sanctionnée, comme dirait Sarkozy. [1] »
Si on veut délirer sur ce thème, je propose d'accuser d'antisémitisme tous les athées. En effet, les athées sont contre la religion. Le judaïsme est une religion. Donc les athées sont contre les juifs. Ceux qui sont contre les juifs sont antisémites. Donc les athées sont antisémites.
Il faudrait arrêter un peu de déconner. D'ailleurs la véritable raison pour accuser Morin et sa bande (donc « association de malfaiteurs ») était qu'il disait qu'il comprenait la réaction de ceux qui recourent au terrorisme ! Je disais alors que la méthode de Morin était en fait méthodologiquement correcte en ce sens que : « Concrètement, cela signifie aussi que si les juifs étaient dans la même situation, un certain nombre d'entre eux agirait de même (ironiquement, on imagine lesquels !). Qui peut d'ailleurs dire ce qu'il ferait dans une telle situation (d'un côté ou de l'autre) ? » C'est bien ça la question qui se pose dans une situation de ce genre : un certain nombre se résignent, un certain nombre conteste, et un petit nombre se révolte (et on les accuse de sédition ou de terrorisme). Business as usual !
L'autre conséquence est que les intellectuels d'un camp ou de l'autre, ou entre les deux, argumentent comme ils peuvent, puisque c'est leur business à eux. J'en disais :
« Il ne faut cependant pas exagérer le rôle du débat intellectuel qui comporte des limites, comme on le voit. Les intellectuels ont la maladie professionnelle bien compréhensible de croire qu'ils peuvent résoudre les problèmes avec des mots. L'influence de la psychanalyse n'a pas arrangé les choses. »
D'une façon générale, je considère cette accusation d'antisémitisme, tentative de discrédit complet de l'adversaire, comme parfaitement ridicule, car elle ne convainc que les convaincus ou les gogos. Tout le monde sait ce qu'est l'antisémitisme. En France, l'antisémitisme concerne quelques néo-nazis et des pétainistes barresso-maurrassiens. Le reste est de l'antisionisme. Il est parfaitement possible que des pro-palestiniens exaltés se laissent aller à crier « mort aux juifs ». On sait que cela concerne le conflit israélo-palestinien.
Comme je l'ai dit ailleurs, l'antisémitisme visait le fait que les juifs n'étaient pas considérés comme intégrables par le maurrassisme. Aujourd'hui, cela concerne exclusivement les Arabes ou les Noirs (par une ruse de l'irraison, il se trouve que les Arabes sont des Sémites). Et aujourd'hui, on considère les juifs comme intégrés, et même la civilisation occidentale comme « judéo-chrétienne ». Un commentaire du billet de Néfertari rappelle justement qu'on opposait naguère Athènes à Jérusalem dans nos racines culturelles (d'où l'antisémitisme, en nous situant du côté d'Athènes). De Gaulle, dans sa fameuse citation parlait de « peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne ».
Quand dans les années 1990, les Américains et les Israéliens ont « globalement » accusé les Français d'antisémitisme, sous la gauche, j'ai eu l'occasion de rappeler (dans le même article sur Morin) :
« Pour le cas de la complaisance de la gauche envers l'antisémitisme, d'une part, on sait que Jospin avait été agressé au cours d'une visite chez les Palestiniens pour avoir condamné le terrorisme (ce qui lui a peut-être coûté l'élection présidentielle). Et d'autre part, tout le monde sait (sans le dire donc) que le parti socialiste possède de nombreux membres de la communauté juive dans ses instances dirigeantes, dont certains candidats à la candidature présidentielle (successeurs de Blum sur ce plan). Et il ne s'agit pas de candidats pour s'attirer les votes d'un présumé lobby juif comme on le pense généralement à propos des USA, mais d'un candidat naturel qu'on juge sur ses idées (de gauche ou sociales-libérales...), et non sur sa communauté d'origine. Ne pas le noter relève de la falsification, du biais antisociologique que je signale, ou de l'ignorance (surtout aux USA ou en Israël). »
On peut prétendre résoudre le problème israélo-palestinien avec des mots et des exclusions. Encore que, si les pro-palestiniens et les pro-israéliens, qu'on n'a pas de raison de croire mal intentionnés, ne peuvent pas s'entendre en France, il n'y pas de raison que les Israéliens et les Palestiniens puissent s'entendre sur le terrain.
Mais il n'y a pas d'autre antisémitisme en France que celui des nostalgiques du pétainisme/maurrassisme. Il est parfaitement possible que certains pro-palestiniens s'allient à ces antisémites, suivant le principe selon lequel les ennemis de mes ennemis sont mes amis. C'est regrettable, mais c'est comme ça. Roosevelt s'est bien allié avec Staline contre Hitler, et Israël avec l'Afrique du sud raciste (ce qui me paraît plus grave).
On sait bien ce qui se passe en France. Le ministre de l'Intérieur Brice Hortefeux vient d'être condamné pour racisme alors que les patrons juifs de UPJF lui avaient décerné le prix de l'antiracisme en fin d'année 2009 (humour juif je présume). Par contre, le 4 novembre 2009, paraissait un article dans Le Monde, qui parlait du « fichage ethno-racial pratiqué par des bailleurs et des sociétés françaises ». On y trouvait les catégories « BBR (bleu-blanc-rouge) », « Afrique hors Maghreb, Afrique Maghreb, Autres Antilles, Europe (ouest) dont Français », « Black caribbean, Black other, Asian, White » (pour certaines sociétés étrangères), « Maghreb, Afrique, Asie » (pour l'OPAC), « 1) aucune exigence sur l'origine ethnique du locataire, 2) n'accepte que les Européens, 3) n'accepte que les Français de métropole) et 4) accepte les Français de couleur uniquement s'ils sont antillais » (pour les agences immobilières Mil'Im). Chez Ardisson, Zemmour défend ce droit à la discrimination (« parce que discriminer c'est choisir »). J'avais déjà parlé de ce pédantisme lexical dans un autre article.
Il ne faut donc pas se monter la tête. Il n'est pas question de catégorie « juif ». Il est certain cependant que les néo-nazis ou les pétainistes classiques appliquent pourtant ce critère. Ce qui montre bien où sont les vraies lignes de séparation. Ceux qui disent le contraire divisent l'antiracisme.
Jacques Bolo
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