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Économie / Méthodologie / Écologie - Mai 2010

Peur des mots : « Rigueur » = Récession

Je ne sais plus où j'ai entendu dire, récemment, que le mot « rigueur » avait été utilisé par la gouvernement Maurois, sous Mitterrand, pour ne pas employer le mot « austérité », qu'utilisait Raymond Barre ; mais que lui-même employait ce terme pour ne pas prononcer le mot « récession » ! Celui qui a fait ce rappel méritoire devrait être remercié, et je suis confus de n'avoir pas noté son nom. Mais le fait que je ne l'aie pas noté signifie aussi qu'on passe trop rapidement à autre chose au lieu de souligner les choses importantes. Éventuellement, cette diversion est même volontaire, pour les minimiser. Car on ne va pas se laisser voler la vedette par quelqu'un qui dit une chose intelligente, pour une fois, au milieu du flot des lieux communs. Notons que l'alignement de ces connaissances de base ou rappel de la doxa, dans le meilleur des cas, ont précisément pour fonction de faire émerger quelques idées originales de temps en temps, qu'il faut repérer comme des pépites puisqu'elles sont évidemment noyées dans la masse. Et quand on trouve une pépite, c'est là qu'il faut creuser.

Soyons simples : pour la gestion publique, la « rigueur » est de toute façon un minimum. On ne va pas prôner la désinvolture. Quant à l'« austérité », c'est au mieux un genre que se donne tout bon comptable, qui serait soupçonné de piquer dans la caisse s'il était un peu trop opulent. Ce qui est précisément le cas dans l'économie moderne (voir l'affaire Kerviel), car les traditions se perdent, avec les conséquences prévisibles que l'on constate. Et la « récession » est donc la seule réalité économique, que connaissait pourtant bien Raymond Barre, avant qu'il se mette lui aussi à faire de la politique, c'est-à-dire à nous faire prendre les vessies pour des lanternes (falsifier les comptes), en abusant du crédit de sa réputation d'économiste (« meilleur économiste de france » selon Giscard d'Estaing).

On confirme au passage le rôle nécessaire de la séparation des pouvoirs : les économistes feraient mieux de rester à leur place ! Et le principe du rasoir d'Occam, qui vise à ne pas multiplier inutilement les notions, se trouve aussi confirmé. Si on veut comprendre quelque chose à une situation, les arguties intellectuelles finissent par embrouiller l'esprit. La présence d'une traduction (français/français) pour décoder les bavardages et d'une formation minimale au domaine en question s'imposent nécessairement.

Le problème économique est donc bien la question de la récession ou de la croissance, qui sont de simples faits d'observation économique. Que les hommes politiques parlent à la fois de croissance et de rigueur n'a donc aucun sens, parce que la rigueur/recession est le contraire de la croissance.

En étant indulgent envers les hommes politiques, on pourrait admettre que c'est leur façon à eux de parler de décroissance ! Leur conversion à l'écologie est un peu récente. Ils sont encore un peu timides ou ne maîtrisent pas encore les codes, comme on dit pour les nouveaux riches. Plus précisément, il leur est difficile de passer d'une idéologie de la « croissance » à ce qui leur semble être le contraire, la « décroissance », puisqu'ils jouent un peu trop sur les mots, comme avec l'« austérité » ou la « rigueur ».

Mais précisément, nous venons de voir qu'en économie, le contraire de la croissance, ce n'était pas l'austérité ou la rigueur, mais la récession. La véritable « rigueur » (la « rigueur de chez rigueur »), c'est donc la décroissance. J'ai parlé ailleurs de « décroissance compétitive » qui assume le simple fait que le but de l'économie n'est pas de « consommer plus pour faire marcher le commerce » – ce que signifient les « relances » successives et les « bulles » qui en résultent et qu'on prétend combattre en les provoquant. Ce qui nous permet de constater la productivité de la traduction français/français.

Le but de l'économie est précisément la rigueur, dont la conséquence est la décroissance, par simple augmentation de la productivité. Concrètement, c'est d'ailleurs ce qui est proposé au final. Car le but de l'économie n'est évidemment pas de dépenser plus (ni évidemment de « travailler plus », soit dit en passant). Il faut simplement avoir les mots pour le dire, pour le comprendre, et pour être conscient de ce qu'on fait.

Jacques Bolo

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