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Culture - Février 2010

La science-f(r)iction de Marie Darrieussecq

Marie N'Diaye en 1998, puis Camille Laurens en 2007, avaient accusé Marie Darrieussecq de plagiat pour ses deux livres, Naissance des fantômes et Tom est mort. Elle n'a pas apprécié et se venge par un essai développant sa théorie du plagiat comme procès en sorcellerie. Certains s'en sont fait l'écho en reprenant son argumentation, dans la presse, à la radio (France culture) et à la télévision, à l'émission « La grande librairie », où elle a été invitée pour se voir faire son apologie.

Je ne lirai pas cet essai. La thèse est recevable. Mais l'impression que j'en ai eue a été mauvaise, en écoutant France culture, où Caroline Eliacheff présentait cette « psychanalyse à charge ». Comme l'essai en question s'intitule Rapport de police, il est bon de rappeler la différence entre un État de police et un État de droit. Dans un État de droit, on a la possibilité de porter plainte pour plagiat. Dans un État de police, dans certains cas, on risque de se retrouver en hôpital psychiatrique.

Marie Darrieussecq est aussi psychanalyste. Bien que ses contradictrices n'aient pas sollicité une consultation, elle leur fait pourtant payer la note. Ce qui est conforme au protocole. Son accusation de « plagiomnie » (accusation calomnieuse de plagiat), motivée par « le désir fou d'être plagié » et le « désir d'éliminer l'autre », me semble relever de l'enfermement de ses deux adversaires dans le non-être de la folie. Marie Darrieussecq se pose en juge et partie qui fait précisément sortir de l'État de droit. Contrairement à la psychanalyse, le patient n'a plus droit à la parole. On est plutôt dans le registre de la psychiatrie.

Ce qui est nié est surtout toute référence au réel. Le biais de la psychanalyse est d'ailleurs souvent de réduire tout au fantasme. Soyons clairs ! Il est possible que Marie N'Diaye ou Camille Laurens aient imaginé un plagiat à partir d'un faisceau de coïncidences. Cela doit être examiné concrètement. Il est d'ailleurs possible aussi que Marie Darrieussecq ait été inconsciente de l'influence des oeuvres originales. Le fait qu'elle ou ses partisans argumentent du droit de l'inspiration, voire du pillage, n'infirme évidemment pas le plagiat (ni ne le confirme). Quand un auteur écrit sa Phèdre ou son trente-et-unième Amphitryon, il ne dissimule pas qu'il s'en inspire. Marie Darrieussecq revendique la fiction. Mais c'est en psychanalyse aussi qu'on parle de déni.

N'importe quel auteur talentueux peut reprendre un texte médiocre et en faire un chef-d'oeuvre (ce qui, en droit, pourrait quand même être de la contrefaçon ou du parasitisme). Ou simplement, un auteur connu peut reprendre le texte d'un auteur inconnu. Et ce n'est pas si facile d'accuser quelqu'un de plagiat. Un cas de cet ordre récent a été signalé par Salah Guemriche :

« On prend toujours des précautions pour parler de plagiat... Quand un auteur trouve qu'il a été plagié, il est déjà découragé par ce qu'on va penser de lui, on va tout de suite penser que c'est encore un mytho, un parano ; c'est ça qui décourage beaucoup de jeunes, essentiellement, qui sont pillés. Combien de professeurs d'université ont pris des travaux de leurs étudiants, c'est connu ! Eh bien, c'est exactement pareil dans le milieu éditorial. J'ai décidé d'en parler parce que c'est le moment. [...] J'ai rencontré ce monsieur récemment au salon de Montmorillon. Il a eu l'audace, et c'est là que ma conviction s'est faite, de me dire, devant témoins, qu'il n'avait pas lu mon manuscrit. Or, j'ai une double preuve qu'il l'a lu ; et un témoin dont je ne sais pas s'il témoignera, c'est Philippe Sollers... mais je sais que Sollers lui a passé le manuscrit au deuxième envoi. [...] Je reconnais que la première version de mon manuscrit n'était pas publiable. Je suis sûr qu'il s'est dit que je n'allais pas réapparaître, qu'il pouvait prendre ce qui était intéressant à prendre. J'ai rencontré des critiques, du Monde, qui m'ont avoué avoir des amis qui avaient les mêmes problèmes. Seulement ce sont des jeunes qui n'ont jamais publié, ils ont peur des représailles, qu'on mette une chape de silence sur eux pour toujours... Ça existe... » (émission Enjoy Polar, animée par Hubert Artus, le 14 juin 2000, l'ours-polar, 2010).

Il me semble que le problème concret concerne ici la contiguïté des oeuvres, d'autant que dans le cas de Camille Laurens, les deux auteurs se fréquentaient dans la même maison d'édition, POL. Le fait que le livre de Laurens parle d'une histoire vécue dramatique peut aussi expliquer sa réaction affective. Son argumentation de la nécessité du vécu pour décrire la mort de son enfant est une maladresse, mais cela ne prouve pas qu'il n'y ait pas eu plagiat. Si à quelques mois d'intervalle, une pouliche de la même écurie d'un éditeur s'empare du même thème, s'il existe quelques similitudes, on peut considérer qu'il y a une inspiration, une influence, peut-être inconsciente. Mais ce n'est pas forcément de la paranoïa. Compte tenu du drame vécu, on peut bien contester l'inélégance ou l'insensibilité de l'opération.

Marie Darrieussecq a le droit d'écrire sur la mort de son enfant à la première personne. Le fait qu'elle n'ait pas vécu ce drame confirme qu'il s'agit bien de littérature (ou que, psychanalytiquement parlant, elle le craint ou le souhaite inconsciemment). Si sa collègue vient de vivre vraiment un tel événement, on peut comprendre qu'elle n'apprécie pas. D'autant qu'on lui pique l'idée, comme s'en était déjà plainte Marie N'Diaye. Mais on n'a pas le monopole des idées (ou du coeur). Marie Darrieussecq rappellera que l'étymologie de « plagiat » a signifié « voleur d'esclave », puis « voleur d'enfant ». Un écrivain n'apprécie pas qu'on lui pique son bébé. Jeux de mots, jeux de vilaines.

On ne fait pas de la bonne littérature avec de bons sentiments. L'éditeur, Paul Otchakovsky-Laurens directeur des éditions POL, a choisi Marie Darrieussecq contre Camille Laurens, avec qui il a rompu. C'est donc qu'il pense qu'il s'agit bien de bonne littérature. Dans son essai, Marie Darrieussecq se compare aux grands écrivains (Zola, Freud, Celan, Mandelstam, Maïakovski,...) qu'on avait accusés de plagiat. Mais elle a tort de pousser le bouchon en assimilant ses adversaires à un pouvoir stalinien ou nazi. En l'occurrence, c'est elle qui a gagné. C'est sans aucun doute qu'elle écrit mieux.

Je n'ai pas lu les textes en question, Philippe/Tom est mort et la Sorcière/Naissance des fantômes. Mais il est possible que Marie Darrieussecq écrive mieux que Camille Laurens ou Marie N'Diaye (dont j'ai lu les premières pages de son dernier livre, Trois femmes puissantes, que je trouve aussi lourdingues que son titre). De Darrieussecq, je n'ai lu qu'un court texte, Ma chute à Calcutta (publié dans Le Monde, 24 juillet 2009), qui est plaisant, mais dont je subodore effectivement un rapport à la fiction qui pue le cliché (colonial). J'avais déjà eu cette impression avec Stupeur et tremblements (1999), d'Amélie Nothomb.

C'est peut-être le désir de se prémunir contre cette sensation qui explique le recours actuel à l'autofiction. Elle peut permettre aux jeunes écrivains de procurer un sentiment de réalité, qui est le but de la fiction.

Jacques Bolo

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