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Religion / Conneries - Juillet 2012

Onfray démasqué !

Résumé

Michel Onfray est accusé d'être un antisémite parce qu'il applique son athéisme militant au judaïsme. L'université s'en mêle. Au bûcher l'hérétique !

C'est la nouvelle polémique de l'été. Michel Onfray a publié un long article dans Le Point du 7 juin 2012 pour faire l'éloge du livre de Jean Soler, Qui est Dieu ? (éditions de Fallois). Soler y dénonce les six idées reçues sur les monothéismes et Onfray l'en félicite. Ce livre reprend l'exégèse athée des monothéismes en ciblant tout particulièrement l'Ancien Testament et à la religion juive. En en faisant la promotion, Onfray confirme donc les soupçons de ceux qui l'avaient accusé d'être antisémite quand il avait entrepris de déboulonner la statue de Freud.

J'ai eu l'occasion de dénoncer le mécanisme de ce genre d'équation : un athée est contre la religion. Le judaïsme est une religion. Les antisémites sont contre les juifs. Donc les athées sont antisémites.

On peut critiquer l'approche de Soler et d'Onfray. Les arguments qu'ils utilisent sont aussi utilisés par les racistes contre l'islam pour stigmatiser les versets bellicistes dont s'inspirent les djihadistes. Il est faux de soutenir qu'une critique n'a pas ce genre de conséquence, parce que c'est comme ça que ça marche. Mais prétendre que le djihad est seulement spirituel n'est pas convaincant non plus. Certaines lectures sont plus matérialistes (comme celles d'Onfray, d'ailleurs). C'est vrai pour les musulmans, les chrétiens et les juifs. C'est le rôle de l'idéologie.

Purification terminologique

Ce qui a fait scandale est surtout de parler de « purification ethnique » et de « génocide » à propos de la guerre des juifs bibliques contre Canaan. J'ai parlé ailleurs de « peur des mots » chez les intellectuels. C'est un problème d'actualisation de la terminologie. Voudrait-on que les massacres du passé aient un nom spécial ? Il s'agit ici de « champ sémantique » et le débat est clos. Cette question se pose d'ailleurs à propos de génocides plus récents. On entend dire souvent que le terme juridique de « génocide » n'est pas valable pour ceux antérieurs à la Shoah. C'est du pédantisme pseudo-judiciaire qui oublie que le procès de Nuremberg a été rétroactif lui-même. Les racistes raisonneurs se croient malins en se prévalant de la non-rétroactivité, mais un génocide est un génocide. La science est rétroactive. Si on veut faire dans la subtilité, on peut à la rigueur distinguer les génocides des crimes de guerre. L'erreur juridique était simplement d'avoir déclaré ce génocide imprescriptible. Ce n'était pas nécessaire. D'autant qu'on n'a finalement condamné à mort qu'une cinquantaine de nazis pour avoir massacré des millions de personnes. L'imprescriptibilité fut très indulgente.

Contre Soler/Onfray, certains philosophes ont souligné que l'exaltation du massacre des Cananéens ne reposait pas sur un fait historique. Ils oublient que ce n'est pas le cas, non plus, de l'essentiel du contenu des textes sacrés. Il est parfaitement légitime de critiquer le fait que les crimes et génocides, même fictifs, appartiennent au corpus biblique. Et c'est bien un fait historique qu'ils sont suivis d'effets ou ont servi d'alibi à des massacres réels. L'exégèse pédante relève de mécanismes de défense malsains. Puisqu'on actualise, on pourrait aussi parler de négationnisme.

Secrets de polichinelle

Il est par contre exact que ces faits étaient parfaitement connus. Quand Onfray présente les travaux de Soler comme une révélation, cela relève davantage de la stratégie classique qui consiste à confirmer le dogme d'une idéologie partisane (Onfray en parlait déjà dans son Traité d'athéologie, p. 66). Tout au plus peut-on considérer qu'il s'agit d'une application de sa méthode à l'Ancien Testament. Traditionnellement, les athées s'attaquent au christianisme en pointant les crimes de l'Inquisition. Les historiens les nuancent de façon tout aussi peu convaincante : la bureaucratie de l'inquisition pour démasquer les hérétiques pourrait être actualisée en « procès staliniens ». Inversement, les croyants utilisent la même méthode pour stigmatiser les crimes des sans-Dieu, qu'ils attribuent à son absence. L'observation empirique des massacres réciproques annule ce genre de raisonnements. On peut incriminer la politique, mais les justifications sont bien idéologiques dans tous les camps. Les corpus religieux en font partie.

Le rabbin Yeshaya Dalsace, fait la leçon à Onfray en critiquant surtout son amateurisme. Il n'a pas tort. Mais la naïveté d'Onfray me paraît relever de son projet de vulgarisation. On peut toujours dire que les spécialistes connaissaient les arguments de Jean Soler et qu'ils sont discutables. Mais ce n'est pas le cas du grand public. D'où la notion d'« idées reçues » pour caractériser la vulgate. Toute la question est celle de la publicité de ce genre de débats. On ne peut pas réserver l'exégèse aux spécialistes, par précaution contre les interprétations sommaires, et prétendre simultanément que tout le monde est au courant. Il en résultera automatiquement une sorte de théorie du complot. La vulgarisation des débats est nécessaire du fait de la généralisation de l'éducation supérieure. On remarquera que cela correspond justement à la question de l'universalisation qui oppose les chrétiens aux juifs, et à celle de la participation directe aux commentaires qui oppose les protestants aux catholiques (et les sunnites aux chiites).

Mais c'est vrai qu'Onfray aurait pu être mieux informé. Disons qu'il débute et qu'il manifeste le zèle du converti. C'était déjà le cas avec son livre sur Freud, sans doute fondé sur Le livre noir de la psychanalyse, qui résumait des critiques déjà anciennes. Onfray avait lui-même enseigné le freudisme en cours de philosophie. Devant ce dégonflement du mythe, il pouvait se considérer comme floué. On peut supposer qu'ici, il règle aussi ses comptes avec son éducation religieuse. La question est bien celle de la vulgate et du manque de mise à jour des connaissances et de mise à niveau des professeurs. On est pourtant censé « penser par soi-même ». Ce n'est généralement pas le cas. On répète des idées reçues. Cela valide bien l'entreprise de Soler/Onfray.

Aggiornamento

En philosophie, Onfray a entrepris de reprendre tout à zéro. C'est un travail colossal et méritoire. Malgré tous ses efforts, il a souvent tendance à simplement confirmer ses idées gauchistes, mais il va au charbon. Ceux qui essaient de le discréditer par des accusations d'antisémitisme devraient plutôt essayer de débattre et d'apporter des informations, s'ils en possèdent de meilleures.

C'est vrai que l'antisémitisme ou l'islamophobie se servent de ces exégèses partielles. Les uns et les autres le font sournoisement pour convaincre les naïfs. Ce qui justifie encore l'effort de diffusion. Mais nul n'est méchant volontairement. Les racistes et antisémites sont eux aussi victimes de leurs fausses analyses et des idées reçues qui traînent dans la culture. La difficulté consiste dans le fait que leur obsession en fait des spécialistes qu'un profane ne peut pas contrer à moins de devenir un spécialiste lui-même. C'est le piège de l'érudition contre l'intelligence. Je pourrais dire de la raison contre la foi, mais je suis athée. Grâce à Dieu !

Quoi qu'il en soit, Soler et Onfray s'attellent précisément à la question. On ne peut pas leur reprocher un effort rendu nécessaire par une meilleure diffusion des connaissances, vraies ou fausses. Croire qu'il existe une censure préalable est une erreur. C'est le débat qui permet le tri. Aujourd'hui, Internet supprime toute alternative. Si les universitaires n'y participent pas, et ils s'y sont mis avec retard, ce sont les marginaux, dont les antisémites, qui s'en emparent. Soler et Onfray en font-ils partie ?

Cela ne veut pas dire que les universitaires ont toujours raison. Précisément, la critique d'Onfray sur la tendance hégémonique du spiritualisme est fondée, quoique relative (le marxisme régnait aussi dans l'université). Mais c'est vrai que la philosophie académique officielle était antimatérialiste. Il veut rétablir l'équilibre. Et c'est légitime, même s'il utilise les grosses ficelles anticléricales.

Vulgarité ou euphémisation

Certains universitaires (Gérard Bensussan, Alain David, Michel Deguy, Jean-Luc Nancy) sont montés au créneau contre l'antisémitisme d'Onfray en se livrant, dans la meilleure habitude académique à des attaques ad personam, par l'utilisation de la catégorie nietzschéenne de ressentiment, dont j'ai révélé la véritable nature chez Scheler (qu'Onfray justifie de façon incompréhensible, sinon par le fait que pour lui, le texte sacré, c'est Nietzsche). Ces professeurs de philosophie se livrent à un raisonnement d'un logicisme ampoulé pour justifier une vision du judaïsme biaisée par une idéalisation qui est justement la véritable cible d'Onfray (sur le modèle de la critique de l'idéologie chez Marx). La solution académique des professeurs précités est la négation de la spécificité de la philosophie juive, dont Onfray/Soler critiquent l'orientation tribale, par une universalisation paradoxale, puisqu'elle correspond historiquement au christianisme. Ils en concluent qu'Onfray est un antisémite caché puisqu'il n'a pas été illuminé par la grâce de cette universalisation discutable, estampillée par l'académie, qui se réduit aux jeux de mots scolastiques habituels (cette contradiction particulier/universel est interne au judaïsme). Décidément, les heideggériens ne savent pas penser.

La solution à ce style de sottises qui empoisonne l'université française est simple. Les débats sur ces sujets doivent être ouverts, contre une forme d'élitisme académique qui impose un discours euphémisé. C'est le sens de l'accusation de « bassesse » contre Onfray, qui est plus explicite ou plus cru, ou contre les actualisations terminologiques, qui font peuple. Ces débats doivent avoir lieu au sein de l'université pour qu'elle retrouve enfin le crédit qu'elle n'a, au fond, jamais regagné, depuis que la Sorbonne médiévale s'est rendue coupable de compromissions théologiques dogmatiques. Elle n'en est jamais sortie. La réponse d'Onfray aux universitaires leur reproche de resacraliser les textes religieux en interdisant leur examen laïque. C'est cette sacralisation que certains heideggériens exigent aussi envers le maître, dont il faudrait partager les idées et le langage pour qu'ils admettent qu'on ose en parler.

Mais Onfray a tort. Comme je le disais dans un de mes articles à son sujet, la solution n'est pas une université parallèle. La place d'Onfray est à l'université.

Jacques Bolo

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