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Medias - Juillet 2008

C'est la faute des médias

Politique spectacle : Dieudonné baptise sa fille

Emballement médiatique

Nouvelle polémique à propos de Dieudonné : il a fait baptiser sa fille dans une paroisse traditionaliste, avec Jean-Marie Le Pen comme parrain ! Chez ses partisans ou ses opposants, la polémique a porté sur le fait qu'il s'agissait d'une simple provocation, d'un coup de pub, ou bien d'une nouvelle évolution du personnage – vers le traditionalisme chrétien donc –, après son rapprochement avec le Front national, qu'il avait pourtant combattu dans les années 1980. Chose amusante, certains traditionalistes se sont réjouis de ce retour au bercail de la brebis égarée. Eux, ne semblent pas suspecter que le cadeau puisse être empoisonné.

Si Dieudonné n'est pas devenu un catholique traditionaliste, ce qui serait une trajectoire intéressante, ce type n'a vraiment peur de rien. Il semble dire, dans son spectacle, que le baptême en question est une provocation pour faire parler de lui. Ses partisans ont soutenu un moment que le baptême n'avait même pas eu lieu, tandis que ses adversaires s'évertuaient à vouloir prouver le contraire (outre les commentaires sur le boulet imposé à son enfant). En tout cas, ça marche : on en a parlé. Il a eu, encore une fois, droit à son quart d'heure de célébrité. Il cumule ! C'est le « bon client » des médias qui ne tournent qu'à la « petite phrase » et au scoop. Si ce n'est pas la faute des médias, c'est que ce n'est jamais de leur faute. On remarquera d'ailleurs qu'ils ne se sont pas montrés admiratifs, contrairement à leur habitude. On s'interroge !

De nombreux commentaires disent : « Il ne faut pas en parler », « il faut le boycotter ». Et pourquoi ? À ce compte-là, il ne faudra pas parler de beaucoup de ceux dont on parle actuellement. C'est dans le film Broadcast news (si je me souviens bien), qu'une journaliste (militante) montre à une assemblée de journalistes le type de nouvelles idiotes qu'on diffuse en permanence au lieu de parler des « vrais problèmes » (dont une des caractéristiques est d'ailleurs de chercher à être médiatique, comme le terrorisme). Et ces journalistes applaudissent justement les conneries qu'elle leur montre ! Voudrait-on dire que ce que Dieudonné représente (l'affaire Fogiel, celle du baptême) n'a pas grande importance ? Dans ce cas, ce n'est pas la peine de le monter en épingle pour dire le contraire ensuite.

Si vous êtes en train de lire cet article, c'est bien que vous vous intéressez à ces questions. Et si vous êtes arrivé jusqu'ici, c'est que vous êtes patient ou que vous espérez que je vais dire quelque chose qui vous plaira ou qui vous déplaira, pour pouvoir me juger (raciste ou antisémite) ou vous satisfaire de trouver quelqu'un qui pense comme vous (principe Lazarsfeld). Manque de chance. Ma devise est : « Si vous êtes d'accord avec moi, c'est que j'ai dû me tromper quelque part ».

Et si vous trouvez que cette question n'est pas très importante, et que vous êtes sincère en le disant, vous pouvez toujours vous intéresser à d'autres sujets, que je traite sur cette revue. Ils sont nombreux (voir la liste). Encore que cette question commence à être récurrente, au point que j'ai dû créer la catégorie « racismes », pour préciser celle que j'avais intitulée initialement « société ». Car depuis que j'ai créé la revue en 2005, la question « racisme-antisémitisme » est devenue omniprésente dans les médias. Mais au fond, ce n'est peut-être qu'une juste révélation de la fin de l'euphémisation académique.

Confusion humour-politique

J'écrivais déjà dans un article précédent, en juin 2005  « Une guerre pour rire » : « Les médias ont rapporté l'information selon laquelle les blagues racontées par Laura Bush, la femme du président américain, avaient été écrites par un professionnel, Landon Parvin, auteur habituel de la Maison blanche. C'est pourtant une pratique notoire. Certains journalistes imaginent-ils que les hommes politiques ont tant d'humour ou qu'ils écrivent eux-mêmes leurs discours, voire qu'ils compilent eux-mêmes les dossiers ? Cette pratique humoristique américaine est tout de même particulièrement étonnante. Leurs discours semblent commencer systématiquement par une série de plaisanteries. On avait même pu voir Bill Clinton jouer un sketch complet. »

La réalité a rejoint la fiction. Comme disait Coluche : « Quand les politiques arrêteront de nous faire rire, j'arrêterai de faire de la politique ». Il ne pensait sûrement pas à la possibilité que les politiques fassent eux-mêmes des sketches ! Ce qui aurait pu alors être compris comme une revendication corporatiste, sur le principe du « chacun son job ». La critique, dont le ressort comique jouait sur ce faux sous-entendu, constituait bien évidemment une prise de position politique. Ce qui est d'ailleurs aussi banal, puisque les humoristes ont toujours joué ce rôle.

J'écrivais encore dans un autre article (octobre 2005), « Pour en finir avec l'affaire Dieudonné » : « Cette affaire est aussi symptomatique du rôle de l'humour comme moyen d'expression politique. Dieudonné, après Coluche, correspond au fond à la tentative de franchissement des limites, de la soupape de sécurité (blagues dans les dictatures, humour juif, sketches de politiciens américains), d'un côté. À l'action et au discours direct (Band aid, Sidaction, Restos du coeur), de l'autre. Comme Coluche qui avait abandonné sa course à la présidentielle pour se consacrer aux Restaurants du coeur, espérons que Dieudonné trouvera une issue dans une action aussi concrète quoique, on l'espère, moins palliative. »

La critique de Coluche signifiait bien quelque chose comme le fait que la politique devrait servir à quelque chose. Ou peut-être ne sert-elle finalement à rien, qu'il vaut mieux agir sur le terrain, et qu'il est donc normal que les hommes politiques nous fassent rire en jouant des sketches, et les comiques en faisant des provocations, et en se présentant de temps en temps aux élections pour faire peur aux personnes en poste. Bref, que tout est normal ! Que la démocratie soit une farce, et que « la vie soit une histoire racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur et qui ne signifie rien » [1] n'est pas original non plus.

Mais le nouveau type d'humour est plutôt fondé sur le confusionnisme. Il semble aujourd'hui que toute la planète a été absorbé par la « présipauté de Groland » des humoristes de Canal +. Mais peut-être cela a-t-il toujours été un peu le cas ? Un livre des années 1980 Les mouvements de mode expliqués aux parents, parlait du principe du « double exact » où les gens jouaient leur propre rôle, comme un raciste ou un antisémite se moquant d'eux-mêmes tout en le restant (alors qu'auparavant on se moquait d'eux pour les critiquer). Les nouveaux comiques, comme (Élie et) Dieudonné, et de nombreux autres, semblent appliquer ce principe. La bizarrerie est que le livre en question était écrit par Hector Obalk, Alain Soral, et Alexandre Pasche. Or, précisément, Alain Soral est devenu le conseiller (politique) de Dieudonné, entraînant sa prise de contact avec le Front national sur des critères populistes identitaires.

La véritable question qui se pose est donc celle des conséquences politiques de l'humour : en quoi le fait de prendre conscience de la vanité de l'homme et du monde, des dictatures, etc., sert-il à quelque chose ? Et cela ne sert-il pas qu'à supporter notre condition (ce qui est déjà ça), mais en prenant le risque de prolonger la situation que l'on déplore ou réprouve [2]. C'était déjà ce genre de reproche que les révolutionnaires faisaient à la psychanalyse.

La question de la qualité du procédé humoristique elle-même me semble relever aussi de la compétence cognitive en général. Dieudonné n'est donc pas le seul concerné. L'humoriste est quelqu'un qui met le doigt sur un problème. Ce n'est pas quelqu'un qui le résout. Les philosophes devraient être contents, car ils prétendent, aujourd'hui, « ne faire que poser des questions » et ne surtout pas avoir la vulgarité de prétendre donner des réponses. On pourrait même dire que l'humour consiste précisément à ne pas avoir la solution. Les philosophes sont donc de grands comiques (voir aussi Renan). D'ailleurs, si vous-mêmes avez la solution aux problèmes du monde, ne vous gênez pas ! Faites nous rire !

Plus spécialement, l'humour potache et une surenchère dans la provocation semblent être la norme actuelle. Le manque de qualité est surtout dû à l'absence de sélection des meilleurs gags pour en faire un sketch un peu construit. Car l'humour se pratique aujourd'hui sur une base quotidienne, qui exclut d'affiner.

Le confusionnisme me semble relever le plus souvent d'une faible compétence politique (les humoristes ne sont pas les seuls dans ce cas). Or, précisément, cette faiblesse de compétence concernant l'humour est déjà documentée. Quand on étudie l'humour chez les enfants, on s'aperçoit que les plus jeunes ne comprennent pas vraiment le mécanisme de la blague que leur racontent les adultes ou leurs camarades plus mûrs. Mais cela les fait rire quand même, parce qu'ils reconnaissent que c'est ce qu'on attend d'eux. Pour la reproduire, ils mettent alors des gros mots ou des éléments qui ne veulent rien dire !

Au mieux, on peut considérer que le résultat aboutit à la notion d'absurde. Et cela expliquerait d'ailleurs au passage bien des choses quand, au plus fort du stalinisme (qui n'était pas non plus le comble de la compétence politique), est apparu le « Théâtre de l'absurde ». J'y vais un peu fort. J'assume (comme dirait Finkielkraut). L'histoire se répète comme farce, disait Marx. Mais au fond, plutôt qu'avoir au menu le nazisme et le stalinisme avec le Théâtre de l'absurde au dessert, pour les amateurs de grande qualité, il est peut être préférable d'avoir Dieudonné et la situation actuelle. On a forcément l'absurde qu'on mérite.

Jacques Bolo

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Voir aussi :

Notes

1. D'après Macbeth, de Shakespeare : « Life's but a walking shadow, a poor player, That struts and frets his hour upon the stage, And then is heard no more. It is a tale, Told by an idiot, full of sound and fury, Signifying nothing.
[La vie n'est qu'une ombre qui marche, un pauvre comédien qui se pavane et s'agite sur le théâtre une heure. Après quoi il n'en est plus question. C'est un conte raconté par un idiot, plein de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien.] »
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2.  À moins, évidemment, qu'il soit impossible de s'en délivrer – ce que prétend pourtant la politique ! [Retour]

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