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Méthodologie / Histoire 25.4.2007

Méthodologie académique

Intéressant travail de critique académique dans l'article du Monde du 5.1.2007, où Robert O. Paxton analyse l'ouvrage d'Olivier Wieviorka, Histoire du débarquement en Normandie. Des origines à la libération de Paris (1941-1944).

L'article ressemble beaucoup à un pré-rapport de soutenance de thèse. Paxton se comporte comme un membre du jury, qui donne son appréciation sur le travail du doctorant, et qui en profite pour apporter des rectifications ou des avis personnels. Évidemment, le débat est toujours un peu faussé par le fait que la soutenance suppose a priori que la thèse est acceptée [1]. Ces habitudes ne subsisteront que trop dans les appréciations entre collègues (sauf quand il s'agit de luttes entre chapelles concurrentes). Mais le résultat est quand même toujours un peu curieux. D'autant que la thèse a été publiée sans les corrections suggérées.

Le compte rendu commence plutôt bien puisque Paxton parle de « l'impressionnant travail d'Olivier Wieviorka », « des recherches minutieuses dans les archives américaines et britanniques », et des « surprenantes statistiques [psychiatriques] citées par Wieviorka à propos des armées britannique, canadienne et américaine ». On verra ce qu'il en est des codes universitaires.

Réserves militaires

Mais des réserves apparaissent rapidement : « Si cet ouvrage est remarquablement bien documenté, certaines de ses conclusions paraissent cependant inutilement négatives ». Car ces restrictions se font plus précises : « De même, s'il est exact que les États-Unis sont parvenus à maintenir un meilleur niveau de vie à leurs citoyens [...] Wieviorka sous-estime l'intensité de la mobilisation de guerre en Amérique. Loin de recourir exclusivement à des 'mesures libérales', le gouvernement américain procéda à l'arrêt total de la production de certains secteurs comme l'automobile, imposa contrôle des prix et rationnement et institua un impôt de 94 % sur les plus hauts revenus. Enfin, c'est le conflit avec le Japon, absorbant 35 % de l'effort de guerre américain, qui fut à l'origine de la pénurie de barges de débarquement, et non pas, comme il est suggéré, le refus américain de se plier aux impératifs des temps de guerre ». Il ne reste pas grand chose de la bonne documentation initiale.

Une appréciation positive globale est d'autant plus surprenante que certaines des critiques sont d'autant plus franches : « On peut difficilement affirmer... », qu'elles se rapportent à des questions pourtant déjà connues « ...que l'impréparation américaine de 1940 était due à la 'sourde oreille' que le président Roosevelt aurait opposée à ceux qui le pressaient de réarmer » alors qu'on l'a même accusé « d'avoir abusé de ses pouvoirs présidentiels, face à la puissante opposition des républicains, en aidant les Britanniques par des mesures qui confinaient à la déclaration de guerre ». Il est également connu que c'est Pearl Harbor qui a fait basculer l'opinion comme Paxton le signale aussi.

Sur le sujet pour lequel Wieviorka a pourtant spécifiquement travaillé, concernant le moral de l'armée dans la campagne de Normandie, Paxton est aussi factuel : « Un des facteurs que Wieviorka ne mentionne pas était l'habitude américaine de remplacer les pertes en intégrant des soldats non aguerris dans des unités où ils se sentaient isolés et vulnérables ». Paxton précisé aussi que le prétendu bon moral de la 2e DB des Français de Leclerc était sans doute faussé par l'absence de psychiatres, ou le fait que les soldats français étaient plus aguerris, outre leur motivation patriotique. Au point de s'interroger : « Il est toujours hasardeux de former des jugements sur les différents caractères nationaux en se fondant sur les performances au combat ». La victoire des alliés malgré « l'énumération de tout ce qui n'a pas marché de leur côté » en devient presque inexplicable du fait que l'auteur ne prend pas en compte les autres fronts auxquels avaient à faire face les Allemands.

On suppose donc que c'est par une manifestation d'une forme d'humour typiquement universitaire que Paxton mentionnera aussi : « Une grosse surprise [qui] émerge au fil de son analyse, extrêmement critique, des réticences alliées à l'égard de la Résistance et des forces de la France libre. L'auteur conclut que, contrairement à 'une légende tenace', les Alliés n'avaient aucune intention d'imposer un gouvernement militaire en France ». On peut estimer que Paxton n'a pas été très convaincu. Il n'en conclura pas moins « le travail d'Olivier Wieviorka constitue, parmi les ouvrages de langue française, la synthèse la mieux informée sur la campagne de Normandie. Il mérite à ce titre de figurer aux côtés du livre remarquable que François Bédarida consacra naguère au Débarquement (Normandie 44, Albin Michel, 1987) ». Je ne suis pas franchement persuadé que ce soit un compliment envers François Bédarida ou les ouvrages de langue française. On s'amuse bien dans les universités.

Méthodologie

La méthodologie spécifiquement historique consiste essentiellement en un travail sur archives. Wieviorka a donc sans doute trouvé les archives psychiatriques des armées britannique, canadienne et américaine, plus ou moins négligées, et apporté éventuellement ainsi de nouvelles informations intéressantes. Mais il n'a pas pris la peine de relier son terrain à l'ensemble du contexte et s'est contenté de généralités assez sommaires sur les autres questions, au point qu'on se demande s'il s'agit même de sa spécialité. Mais il reste le travail sur les archives. A des cas de ce genre, on peut sans doute constater les limites de la méthode historique comme exercice universitaire. Il serait sans doute nécessaire de ne pas considérer que les étudiants sont des chercheurs avant d'avoir un certain nombre de connaissances.

Je peux renvoyer à la distinction des méthodes allemande (le point sur la question), anglaise (l'enquête, ici sur archives), française (l'exposition) que j'ai développée dans Pensée allemande contre pensée française. Dans le livre de Wieviorka, c'est la pensée anglaise qui a perdu la guerre. Et plus généralement, on peut déplorer que la méthodologie trop formelle des travaux académique en vienne a oublier complètement la validité du contenu.

Jacques Bolo

Bibliographie

Olivier WIEVIORKA : Histoire du débarquement en Normandie. Des origines à la libération de Paris (1941-1944)

François BEDARIDA : Normandie 44 : Du débarquement à la libération


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Notes

1. Seule la mention est en jeu qui qualifie en principe le nouveau docteur à exercer le métier de professeur. Mais l'exercice est moins difficile qu'on pourrait le penser, malgré toutes les critiques, voire les éreintements, des membres du jury. Ce que montre bien le compte rendu de Paxton. [Retour]


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