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Culture (cinéma) - Septembre 2015

Les frères Dardenne : Deux jours, une nuit (2014)

Résumé

Le film des frères Dardenne montre l'incapacité du cinéma francophone et des intellectuels de gauche à construire une représentation crédible du monde du travail alors même qu'ils ont tous les éléments. On est mal barré.

Jean-Pierre et Luc Dardenne : Deux jours, une nuit (2014).t

Les frères Dardenne avaient fini par s'apercevoir qu'un de leurs films précédents, Rosetta, avait contribué à l'idéologie actuelle, chez les intellos populistes et fiers de l'être, qui justifie le vote Front national dans les milieux populaires. Tout espoir n'est donc pas perdu. Ils ont cru qu'il était possible de compenser les dégats avec leur nouveau film, Deux jours, une nuit. Fatalitas ! D'abord, c'est un peu tard. Le mal est fait. Mais surtout, ce film a l'avantage de montrer à quel point la gauche bien intentionnée est incompétente et impuissante sur ces sujets.

Qu'est-ce que c'est cette histoire d'employée d'une entreprise de panneaux solaires qui rentre de congé de maladie pour dépression et qui va être renvoyée parce que le patron s'est aperçu qu'on pouvait très bien se passer d'elle. Il propose à la quinzaine de ses collègues de travail de voter pour choisir entre leur prime de 1000 € et le maintien du poste de la fille, jouée par Marion Cotillard. C'est légal, ça, en Belgique ? Admettons.

D'abord abattue par la nouvelle et ses conséquences sur le budget familial, l'employée se résigne à essayer de convaincre les membres de l'entreprise de faire un nouveau vote, d'autant qu'il s'avère que le contremaître avait fait pression sur les employés. Elle va faire le tour de tous ses collègues en constatant que certains la soutiennent, d'autres acceptent de changer leur vote, et qu'il n'en est pas question pour d'autres.

Chacun a ses raisons, mais le film semble nous expliquer que la masse salariale globale d'une entreprise correspond tout simplement à la somme des salaires individuels. Cette découverte fondamentale n'a pas obtenu un prix Nobel d'économie, mais le Prix spécial du Jury et de nombreux autres prix internationaux de cinéma. On voit le niveau de la compétence économique mondiale. On n'est pas prêt de sortir de la crise.

Le film nous montre donc que les autres employés se partagent donc le salaire annuel d'un collègue évincé. La lutte des classes passe après la guerre de tous contre tous. Mais outre le constat que le poste de la personne était donc inutile, la réalité que nous connaissons depuis une trentaine d'années est bien le fait que les insiders se foutent des outsiders. J'ai eu l'occasion de dire plusieurs fois que c'est précisément la raison actuelle de l'angoisse du chômage, pour ceux qui ont un emploi et sont menacés par les plans sociaux. Ils sont payés pour savoir (c'est le cas de le dire et c'est pour ça que je le dis) que ceux qui ont un emploi se foutent de ceux qui n'en ont pas. Et ils veulent faire des heures supplémentaires, des fois qu'on pourrait embaucher quelqu'un de plus compétent qu'eux. C'est de plus en plus difficile pour y arriver et payer les travaux de son pavillon, comme on le montre dans le film. D'où les difficultés ou le refus de renoncer à la prime.

En fin de compte, le vote ayant été négatif à une seule voix de majorité, le patron proposera à la fille de la reprendre, sans doute parce qu'elle a démontré sa motivation. Les patrons devraient faire ça plus souvent ! Mais elle refusera, car c'était en échange du non-renouvellement du contrat à durée déterminée d'un de ses collègues immigrés, qui arrivait à échéance. C'est gentil de préciser, cette fois, qu'on n'est pas du côté du FN. Bon, ça, c'est réglé !

Forte de cette bonne image de soi retrouvée, l'employée nouvellement au chômage se remettra donc à la recherche d'un autre emploi. Heu... C'est ce qu'elle aurait pu faire tout de suite, non ? Bon, on n'aurait pas eu le film, qui nous donne l'occasion d'une galerie de numéros d'acteurs excellents, quoiqu'un peu trop séquentiels, du fait de cette sorte de road-movie en successions de tableaux. Et il faut bien occuper les intermittents du spectacle. Notons qu'eux-mêmes sont familiers d'un statut précaire que la gauche intello ne semblent pas admettre pour les autres travailleurs.

C'est toute la question de l'opposition entre une conception du travailleur libre et celle de la dépendance revendiquée à un collectif professionnel figé, sur le mode quasi-féodal, dont j'ai déjà parlé à propos des demi-mesures du FN. Comme c'est de ça que certains ne sont pas conscients, il ne faut pas s'étonner des conséquences.

Jacques Bolo

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