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Histoire - Politique - Société - Juillet 2012

L'échec des black panthers

Résumé

L'échec du Black Panther Party montre les limites de l'affichage inutile de la violence. Son action sociale a été minée par la répression du FBI qui a réussi à le discréditer et à le désagréger totalement pour ne laisser subsister que le folklore.

Thomas Van Eersel : Panthères noires : Histoire du Black Panther Party, ed. L'échappée, Paris, 2006, 160 p.

***

Le petit livre de Thomas Van Eersel revient sur l'histoire des black panthers qui se voulaient un mouvement d'autodéfense noire dans l'Amérique des années soixante. Le Black Panther Party s'opposait tout particulièrement aux violences policières avec le slogan : « Si tu me tires dessus, je te tire dessus », en utilisant la possibilité juridique de porter une arme, garantie par la constitution américaine. Fondé en 1966 par Huey P. Newton et Bobby Seale, peu après l'assassinat de Malcolm X en 1965, ce parti représentait une alternative à la stratégie non-violente du mouvement de Martin Luther King, qui sera lui-même assassiné en 1968. Les États-Unis connaissaient alors la guerre du Vietnam et l'obstruction à l'égalité de la part des nostalgiques du racisme, sur un fond de Guerre froide et de contre-culture.

Si ce mouvement a marqué son époque, c'est sans doute par sa mise en scène militarisée qui était bien dans l'air du temps des guérilleros tiers-mondistes, des luttes anticoloniales et anti-impérialistes. C'est sans doute aussi ce qui a causé sa perte dans la mesure où il se plaçait sous influence communiste et anti-américaine, en pleine Guerre froide !

En s'inspirant des écrits de Frantz Fanon, qui prônait la libération des peuples colonisés par la violence, les black panthers commettaient aussi un contresens. Sur le fond, ils exigeaient une égalité de traitement immédiate, contrairement aux stratégies intégrationnistes progressives des mouvements traditionnels des Noirs américains. Parallèlement à leurs démonstrations de force, les black panthers développaient des programmes d'action sociaux, comme des distributions de nourriture aux enfants, une assistance scolaire ou juridique, etc. Mais cette ostentation militariste attirait forcément les militants les plus belliqueux et incitait à la surenchère macho. C'est cette image qu'on a retenue.

Le livre de Thomas Van Eersel montre longuement comment le FBI d'Edgar Hoover a entrepris une campagne systématique d'infiltration, de provocation, de discrédit, de sabotage, de procès truqués, et finalement d'assassinats. L'orientation communiste de la contestation et l'escalade de la guerre du Vietnam présentaient la situation comme insurrectionnelle. Les restes du racisme institutionnel exacerbaient la tension.

Le mouvement des black panthers fut aussi naïf sur le plan organisationnel que sur le plan théorique. La rhétorique communiste ou l'action sociale qui ont valorisé le Black Panthers Party auprès des intellectuels européens ne correspondait certainement pas à la réalité idéologique américaine. On peut en voir la conséquence encore de nos jours dans la mesure où les Noirs américains sont assimilés à des assistés. Ce qu'on leur reproche correspond simplement à la social-démocratie européenne qui est explicitement détestée par la droite américaine. Ce rejet se diffuse actuellement en Europe, précisément parce que l'assistanat concerne aujourd'hui les immigrés. J'ai eu l'occasion de dire ailleurs que certains Américains préféraient laisser tomber les pauvres blancs plutôt que risquer d'aider les pauvres noirs. Le langage codé du « refus de l'assistanat » signifie ce reste de racisme. C'est une incompréhension de la vocation générale de la social-démocratie assurancielle par ceux qui veulent simplement préserver des privilèges.

Mais surtout, sur le plan organisationnel, la stratégie d'infiltration et de sabotage des black panthers par le FBI a parfaitement fonctionné. C'est particulièrement inconséquent pour un mouvement qui prétend à une organisation quasi militaire. Non seulement l'infiltration a réussi, mais elle a généré des accusations réciproques d'appartenir au FBI ou à la CIA par les dirigeants du mouvement entre eux. Les luttes de tendances habituelles ont accentué le phénomène d'exclusions réciproques. Le problème des organisations politiques extrémistes est toujours l'incapacité à tenir des objectifs clairs et de remplacer leur absence de réalisation par la surenchère avec des éliminations mutuelles, politiques ou physiques. Les branches clandestines subissent évidemment la répression la plus brutale.

De ce genre de stratégie, il résulte finalement un gâchis à peine compensé par une sorte de nostalgie romantique de la radicalité. Mais c'est aussi une illusion d'anciens combattants qui regrettent simplement leur jeunesse. Le seul effet positif de l'épisode historique du Black Panther Party est sans doute d'avoir concentré la répression sur lui en la détournant des formes plus concrètes d'intégration des Noirs américains. L'image romantique de la violence révolutionnaire des black panthers semble encore valorisée par le livre de Thomas Van Eersel. Le risque est que cela relève, au fond, de la martyrologie christique dominante dans le mouvement social. On se demande si certains ne préfèrent pas la pureté de l'échec aux compromissions du réel.

***

NB. L'écrasement actuel de la révolte syrienne ma paraît relever de ce genre d'erreur d'appréciation de la situation (facile à dire a posteriori, j'en conviens). Le jugement favorable de la part de l'étranger est une maigre consolation. Quelle qu'en soit l'issue, l'élimination actuelle de milliers de contestataires ne peut pas être sans conséquence.

Jacques Bolo

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