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Économie / Médias - Mai 2011

Finance et économie réelle

L'affaire Strauss-Kahn a balayé toutes les autres informations en une semaine. C'est le point commun des médias avec le court-termisme de la finance. On monte en épingle un événement et on oublie tous les autres. Et c'est cela qui définit souvent le cours d'une action ou le taux de remboursement d'une dette. Il se passe pourtant de nombreux autres événements dans le monde, dans certains pays dont on ne parle pas, et dont l'importance réelle est gigantesque, y compris pour notre vie quotidienne. La crainte de la mondialisation peut d'ailleurs s'expliquer directement par la négligence de ce qui est réellement important dans le monde, qui n'apparaît que quand il est trop tard et que les conséquences sont inévitables.

Le dernier gros titre médiatique était celui du tremblement de terre au Japon qu'on a présenté avec le minimum d'infos et le maximum de clichés, d'où mon article ironique (« Un tsunami de clichés frappe le Japon »). Les écolos en ont profité pour charger la barque sur le nucléaire. C'est de bonne guerre (durable). En réponse, les pro-nucléaires leur ont fait remarquer que c'est le tsunami qui a fait beaucoup de victimes. C'est de bonne guerre (atomique) aussi. Le problème concerne plutôt le fait de construire des centrales dans une zone fortement sismique et de sous-estimer les normes de sécurité. La critique marcherait également si on construisait des maisons solaires au bord d'un précipice.

Mais la surenchère médiatique, quoique légitime, a systématiquement négligé la conséquence essentielle : les destructions du séisme et du tsunami auront un coût colossal (on parle de 200 milliards de dollars). La conception financière s'est, quand même, un peu manifestée par l'évocation des conséquences sur la finance mondiale par le rapatriement d'importants capitaux investis à l'étranger. Le système financier mondial pourra-t-il absorber le choc de la raréfaction et donc du renchérissement du crédit ? C'est déjà la preuve que la cause d'un tel phénomène est, en dernière analyse, matérielle.

Il en était déjà de même à l'époque du tremblement de terre de Kobé, dont une des conséquences a été la faillite de la banque Barings, à travers les déboires du trader Nick Leeson. On peut toujours dire qu'il est seul responsable de ses manipulations. Mais on peut aussi considérer que ces opérations irrégulières sont permanentes et que les conséquences n'apparaissent que quand elles sont mises au jour par un événement réel, qui oblige à solder les comptes.

On a bien mentionné le coût de la reconstruction, mais en soulignant l'aspect positif de la relance économique. Le cynisme est un genre qu'on affecte pour paraître pragmatique. La conséquence immédiate, matérielle, correspond plutôt à une destruction de capital ou une « dépréciation d'actif ». On peut toujours se consoler en se disant que cela va relancer les affaires. C'est sûr qu'il va y avoir du boulot. C'est déjà un démenti à l'illusion qu'il n'y avait pas beaucoup de dégâts, à l'égard de laquelle je marquais mon scepticisme :

« J'ai également douté de ne voir aucun immeuble effondré du fait du séisme. Que les immeubles récents aient mieux tenu qu'à Kobé est une bonne nouvelle. Mais qu'aucun bâtiment ne se soit écroulé ne me paraît pas possible. Il est plus probable qu'on dissimule les dégâts qui auraient pu faire une mauvaise impression comme dans le cas de Kobé. Le contrôle des médias (embeded) semble la méthode actuelle. Et même si les immeubles ont tenu, la structure peut quand même être touchée. La reconstruction coûtera très cher, et on n'a peut-être pas voulu décourager le public par la perspective de lendemains difficiles en plein traumatisme. Je suis indulgent. »

Mais il en découle bien inévitablement que cet argent ne sera pas investi ailleurs, ou sur place, dans de nouveaux projets. On confond souvent la macroéconomie avec l'économie nationale. La véritable macroéconomie est globale. C'est bien ce qu'on constate quand on craint les conséquences du rapatriement de capitaux. Au niveau global, il y a bien une perte. Que ceux qui en doutent mettent le feu à leur maison pour relancer le secteur du bâtiment !

Une meilleure prise en compte de ces phénomènes globaux, réellement macroéconomiques, peut expliquer la récession antérieure au Japon. Elle n'aurait pas dû avoir lieu si la catastrophe de Kobé avait été si créatrice. La globalisation de l'économie rend l'évaluation plus complexe. Il est seulement possible qu'une croissance de la productivité survienne à l'occasion de restructurations qui auront lieu. Mais il est également certain que d'autres projets en cours auront été stoppés net. Les pertes humaines représentent aussi des destructions d'actifs immatériels.

Jacques Bolo

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